Page:Trigault - Lettre du R P Trigaut escrite a ceux de la mesme Compagnie, 1609.djvu/19

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riniers n’en pouuans plus, tant ils eſtoient laſſez & recreus, pour auoir ſi ſouuent changé les voiles au vent, le voiſinage de quelques iſles dangereuſes augmentoit la craincte, que nous auions de perir. Car elles ſont pleines de rochers, & ſi auec cela quand on y jette l’anchre, elles ne la retiennent pas, mais bien couppent & tranchent tout net les chables qui les ſouſtiennent : c’eſt à bon droict qu’on les appelle iſles d’angoiſſe. En ce danger les plus experimentez cõmencerent à craindre le plus, le Patron meſme ne ſe pouuoit tenir de pleurer. Pour moy ie ne ſçay pas bonnement quel homme i’eſtois pour lors, car ie demeuray ſans frayeur & ſans apprehenſion, & ne m’eſmeus non plus, que ſi j’euſſe eſté vn marbre ou quelque roche inſenſible, eſtant d’autant plus aſſeuré & conſtant, que plus i’eſtois indigne de mourir pour le ſeruice de mon Dieu. Tout ce qui nous conſoloit en la peur que nous auions d’aller briſer à tous moments contre ces eſcueils, eſtoit, que jettant ſouuent la ſonde, nous ne trouuions jamais terre, non pas meſme apres auoit laſché la corde de la lõgueur de plus de deux cens braſſes. En fin nous eſchappaſmes & fiſmes le reſte de noſtre chemin heureuſement