Page:Tristan Bernard - Contes de Pantruche.djvu/54

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le parquet ciré de son corps impondérable. Il se rencontra dans une glace. Il vit qu’il avait les yeux brillants et le teint animé. Il se sourit avec bonne humeur et se tourna le dos.

Cependant, sans qu’il la réclamât, il manquait à sa soirée l’aventure d’amour, la belle dame que l’on souhaite au tournant du chemin.

Ce fut une jeune fille blonde, en robe vert Nil, que la Providence commit à ce rôle. Elle avait de blanches épaules minces, et un de ces profils un peu boudeurs que M. Flan avait toujours aimés. Tout naturellement il vint à elle et l’invita pour une valse.

Des procureuses invisibles étaient allées chercher ces âmes sœurs à travers le bal, et les avaient mises en présence, après les avoir convenablement préparées. M. Flan était très échauffé par le champagne, et la demoiselle vert Nil, par quelques tournoiements en musique, et aussi peut-être par de petites libations (car les jeunes filles vont assez fréquemment au buffet, où les entraîne la générosité facile des valseurs).

Quand ils eurent dansé une valse, puis une autre encore, ils ne se quittèrent plus.

Ils allèrent s’asseoir ensemble dans un petit salon, que traversaient quelques rares danseurs. M. Flan prit la main de la demoiselle vert Nil. Ils restèrent sans mot dire à côté l’un de l’autre. Les minutes passaient silencieusement le long du mur.

Quand elle dut s’en aller, M. Flan, d’une voix altérée, balbutia qu’il n’oublierait pas cette soirée. Lucie (car c’était elle) voulut lui laisser un souvenir. Elle tenait à la main un petit mouchoir de dentelles, mais elle hésita à se dessaisir de cet objet de toilette de première nécessité. Elle détacha de son poignet gauche un fin bracelet d’or orné d’une perle. « C’est, dit-elle très vite et les yeux baissés, un bracelet qu’on m’a donné pour ma fête. J’y tenais beaucoup. Gardez-le en souvenir de moi. »