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III

Le Blafard se disposa à obtenir sa croix par une habile pression sur l’opinion publique.

Il acheta une main de papier ministre et couvrit la première feuille d’une pétition ainsi conçue :

« Monsieur le Directeur des Postes et Télégraphes,

« Les habitants du quartier Saint-Athanase, quartier commerçant par excellence, où l’heure du courrier est généralement très chargée, vous prient instamment de reculer de quinze et, si possible, de trente minutes la dernière levée des boîtes postales.

« Veuillez, etc. »

Tous les habitants du quartier donnèrent leur adhésion, par besoin réel ou par indifférence. Le Blafard eut sa main de papier couverte de onze mille signatures. Il enleva alors purement la première page, et la remplaça par une requête rédigée en ces termes :

« Monsieur le Ministre du Commerce,

« Habitants du quartier Saint-Athanase, nous prenons la liberté de signaler à Votre Excellence la noble conduite d’un de nos concitoyens, M. Omer-Albin Le Blafard. Depuis les longues années qu’il vit au milieu de nous, M. Le Blafard s’occupe avec un zèle infatigable d’une quantité d’œuvres philanthropiques.

« Fondateur des Sociétés chorales d’octogénaires, président de la fameuse Ligue de protection des parents martyrs, M. Le Blafard est l’objet de notre admiration constante. Qu’un décret de vous attache la croix sur sa poitrine, et 22.000 mains d’électeurs frappées en cadence, salueront cette œuvre de justice. »

« Veuillez, etc. »

Suivent les 11.000 signatures.