Page:Trobriand - Le rebelle, 1842.djvu/24

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— Oh ! ma tante ! répondit Alice avec élan. L’accent disait tout.

— Et lui ? vous aime-t-il bien aussi ?

— Que cela soit ou non, ma tante, jamais je n’épouserai un autre que lui.

— Cependant, ma fille, le conseiller Barterèze…

— Je le méprise, dit Alice avec une magnifique fierté.

— Bon ! dit la tante et pourquoi cela ?

— Ma tante, répondit-elle gravement, sa conduite n’a pas besoin de commentaires. Il sait que j’aime Laurent.

— Qui le lui a dit ?

— Moi.

— Ah ! dit la vieille dame. Et elle se prit à réfléchir.

Pendant le moment de silence qui suivit cette exclamation, le trot pressé de deux chevaux se fit entendre au dehors.

— Ecoutez ! dit Alice.

Elle devint horriblement pâle, se leva toute droite en posant avec force sa main sur son cœur comme pour en comprimer les battemens, puis elle se rassit en fondant en larmes quand le bruit se fut tout-à-fait perdu dans l’éloignement.

— Qu’avez-vous ? lui demanda la tante surprise.

— C’était lui ! murmura-t-elle.

Le silence dura encore quelques instans puis la tante reprit en regardant l’heure :

— Votre frère ne rentrera-t-il pas aujourd’hui ?

— Non, ma tante. Il m’a dit ce matin en me quittant de ne pas l’attendre. Il est en route pour Montréal où il conduit cette nuit deux prisonniers, et où il restera quelques jours auprès de mon père dont les affaires ne sont pas encore terminées.

— Dieu le conduise ! ma fille, mais votre frère a la cervelle bien légère, et votre père n’a pas été raisonnable de l’autoriser à accepter un grade dans les volontaires. C’est un parti qui peut devenir dangereux dans ces tems de trouble.

— Hélas ! dit la douce enfant. Les hommes n’ont pas un cœur comme le notre, et ils n’aiment pas comme nous.

— Croyez-le bien, dit la vieille tante.

Là-dessus elle se leva, et après avoir embrassé Alice sur le front, elle se retira dans son appartement d’un pas que son grand âge rendait chancelant ; mais par un reste de coquetterie, elle n’acceptait jamais d’appui.

Lorsque minuit sonna à l’antique pendule d’albâtre, Alice qui jusque-là était demeurée en proie à une profonde et immobile rêverie, se leva d’un pas lent, ouvrit une des fenêtres élevées de six ou sept pieds au dessus du sol, et sans peut-être se rendre compte de son mou-