Page:Trollope - La Pupille.djvu/130

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changerais rien à ma conduite : j’aime mille fois mieux nourrir cette famille que je hais que de vivre pauvrement chez elle. Dans onze mois et huit jours je serai libre ; ce n’est donc qu’un moment d’épreuve à traverser. Personne pendant ce temps, excepté les Heathcote, ne connaîtra mon véritable caractère, et mon jeune et charmant gardien pourra bien préférer la riche Sophie à la pauvre Florence. Nous verrons comment finira sa tutelle… Si je veux, j’arriverai bien à… Avec le temps tout réussit… Je dois, il est vrai, quant à présent, nourrir et loger ces gens que je déteste, mais je ne ferai pour eux que ce qui sera absolument nécessaire. » Ainsi passa la soirée. Miss Martin Thorpe n’aimait pas la lecture ; mais l’eût-elle aimée, elle aurait été, ce soir-là, incapable de suivre aucun récit, même le plus intéressant, car elle était suffisamment occupée de sa personne !

Le réveil de l’héritière fut une nouvelle jouissance pour elle : en se voyant dans cette jolie chambre et en apercevant miss Robert, qui écartait doucement les rideaux du lit, elle se rappela qu’elle n’était plus Sophie Martin, mais miss Sophie Martin Thorpe, que tout ce qu’on apercevait au loin lui appartenait, et que désormais personne ne pourrait plus contrarier ses désirs ni ses volontés. Au bout d’une heure, sa toilette étant finie, elle descendit dans la salle à manger et dégusta, tout en admirant la splendeur de ses appartements, l’excellent café préparé par mistress Barnes.

Sophie était très-gourmande : elle affectionnait entre autres choses le bon café ; elle se réjouissait déjà à l’idée d’en prendre tous les jours, quand elle se rappela les Heathcote, à qui elle serait aussi obligée d’en offrir.

Mais tout à coup un sourire dédaigneux et fier plissa ses lèvres : elle venait d’inventer quelque méchant trait à décocher à ses ennemis, et, se levant vivement, elle courut à la sonnette, qu’elle tira à plusieurs reprises.