Page:Trollope - La Pupille.djvu/171

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embrassés avec frénésie ; mais, dans sa froideur invincible, elle se contenta de les retirer délicatement de leur nid de coton et de les contempler lentement, tout en les pesant dans le creux de sa main. Jamais elle n’avait été aussi heureuse qu’en ce moment. Elle pressait, comme pour les dérober aux regards jaloux, les diamants contre sa poitrine et sur son petit cœur égoïste, et peu à peu elle finit par tomber dans une sorte d’extase presque folle et se prit à les regarder encore avec passion.

Cependant elle avait une trop grande force de volonté pour ne pas vaincre bientôt son émotion. Aussi parvint-elle à sonner sa femme de chambre pour l’habiller, et, quand elle rejoignit ses invités, son visage avait repris son expression habituelle. Son tuteur lui ayant demandé pendant le dîner d’où venait qu’elle ne mangeait plus, elle qui avait autrefois très-bon appétit, elle répondit assez poliment et sans se troubler : « C’est que j’ai goûté un peu tard, et cela dérange pour le dîner. »

Miss Martin Thorpe avait pris l’habitude de se retirer dans son appartement aussitôt qu’on était sorti de table, d’y prendre seule son café, et de ne plus reparaître de la soirée.

Mais ce jour-là elle n’agit pas de la même façon : après avoir dégusté avec ivresse un excellent moka, elle se rendit au salon de l’Est, où elle trouva la famille réunie et toute confondue de la voir entrer, contre son usage. En apercevant sa cousine, Florence sortit avec les deux enfants et les conduisit chez mistress Barnes. Rien ne pouvait mieux convenir à l’héritière que la désertion de ces trois êtres qu’elle détestait ; car elle venait précisément au salon dans le but d’annoncer son intention d’assister au bal d’Hereford et d’insinuer adroitement que, vu sa grande jeunesse, Florence devait s’abstenir d’y aller. Mais le major et sa femme ne pen-