Page:Trollope - La Pupille.djvu/188

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Et, en disant ces mots, l’excentrique M. Jenkins prit le galop dans l’attitude et avec les allures d’un Bédouin qui poursuit un ennemi.

Les trois milles qui séparaient Broughton-Castle de Thorpe-Combe furent franchis deux fois par M. Jenkins en moins de temps qu’il n’en aurait fallu à tout autre pour les parcourir une fois. Puis, ayant laissé son cheval dans un endroit écarté, il parvint, Dieu sait comme, mais sans être vu ni entendu de personne, jusqu’à la porte de Sophie Martin, qui était loin de s’attendre à le revoir si vite, et à qui sa présence fit un tel effet qu’elle en laissa tomber la fourchette qu’elle tenait à la main. Le regard qu’elle lui lança aurait terrifié tout autre homme que l’indifférent M. Jenkins ; mais le visage enflammé de Sophie ne lui fit pas plus d’effet que n’eussent pu faire les deux petits yeux verts d’une chatte en colère.

« Ma chère, commença l’étranger.

— Monsieur ! s’écria Sophie avec une indignation à peine contenue.

— Ne vous mettez pas ainsi en colère, ma chère, cela n’est pas beau, et du reste je ne mérite pas votre courroux. Je dois vous dire que je suis extrêmement, énormément, monstrueusement riche, quoique ma tenue ne vous l’ait certes pas annoncé. J’ai cru remarquer hier que vous aimiez les bijoux ; mais les vôtres sont vieux et auraient besoin d’être remontés. Comparez-les à ceux que voilà, continua le petit homme en tirant de sa poche une boîte du plus bel ivoire ornée de fleurs peintes. Voyez ; cela vaut à peu près le quart des diamants que vous portiez hier, et c’est loin d’être aussi lourd. »

En disant ces mots, il poussait un ressort et faisait tout à coup briller aux regards ahuris de Sophie, couchés sur un coussin de satin rose bordé d’or, un