Page:Trollope - Le Cousin Henry.djvu/84

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tandis que les heures s’écoulaient, assis dans un fauteuil de la bibliothèque, les yeux fixés sur le volume de sermons de Jérémie Taylor. Il n’avait rien fait de mal, se répétait-il à lui-même, il n’avait rien convoité qui ne lui appartînt pas. C’était pour complaire au désir exprès de son oncle qu’il était venu à Llanfeare, qu’il avait été présenté aux fermiers comme leur futur maître, et qu’il avait pris place dans la maison comme héritier. Le vieillard lui avait annoncé le changement de ses intentions ; mais il ne l’avait pas annoncé à d’autres ; il n’avait pas déclaré sa volonté nouvelle aux gens de Llanfeare et ne l’avait pas renvoyé à son bureau. S’il avait agi ainsi, cela eût mieux valu. Il eût commis envers lui une grande injustice ; mais au moins sa situation eût été réglée, et il aurait repris son travail à Londres, sans bonheur, il est vrai, mais avec la perspective d’une vie tranquille. Mais alors il lui semblait que toute vie lui fût impossible. Tant que le fatal papier demeurerait caché dans le fatal volume, il ne pouvait faire autre chose que de rester là assis, à le garder.

Il sentait bien qu’il lui fallait prendre le courage de parcourir la propriété et le voisinage, de se montrer, de se mêler à la vie des habitants de la localité, quelque ennui qu’il eût à le faire, quelque terreur qu’il dût éprouver de perdre des yeux, pour quelques moments, le papier qui faisait son malheur. Mais il ne pouvait se décider à quitter son fauteuil avant d’avoir pris un parti définitif. Il était encore en proie à d’horribles incertitudes. Pendant toute cette première journée, il se dit à lui-même que sa résolution n’était pas encore arrêtée, qu’il n’était pas encore fixé sur la meilleure conduite à tenir. Il pouvait dire encore qu’à un moment ou à un autre il venait de trouver le testament. S’il s’y décidait, il courrait à Carmarthen avec l’acte dans sa poche et apparaîtrait