Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/144

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heur et le bien-être de son futur mari. Elle avait donné des ordres avec autant de sang-froid qu’aurait pu en montrer une femme qui aurait régné depuis une demi-douzaine d’années sur le cœur et la bourse de son époux. Les marchands, qu’intéressait l’événement, avaient eu leurs petites réticences et s’étaient permis de petites insinuations ; mais elle avait rejeté tous les voiles. Elle leur avait parlé de sir Henry en l’appelant par son nom, et elle leur avait parlé d’elle-même, avec une franchise étudiée, comme étant présentement mademoiselle Waddington, mais comme se proposant de devenir sous peu lady Harcourt. Elle avait examiné des berlines et des broughams, — et même des chevaux, sous la protection de sir Henry — comme si ces choses-là lui tenaient au cœur. Mais cela n’était pas vrai, bien qu’elle tâchât de se le persuader. Pendant de longues années — je veux dire bien des années, sur le petit nombre qu’elle avait vécu — elle s’était dit et redit que ces choses lui étaient chères ; que c’étaient là les gros lots de la fortune pour lesquels les hommes luttent, et les femmes aussi ; que les sages et les prudents les gagnent ; qu’elle aussi serait sage et prudente, et qu’elle aussi les gagnerait. Elle les tenait enfin, ces fruits dorés ; et même, avant de tâcher d’y goûter, voilà qu’ils se changeaient en poussière entre ses mains, et en cendres dans sa bouche !

L’or et le clinquant ne semblaient plus brillants à ses yeux ; pour elle, la soie et le velours n’avaient plus de lustre. La splendeur de son salon, la richesse de ses tentures, tout ce luxe, tout ce confort, ne lui cau-