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Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/235

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— Le monde est-il donc si changé que rien ne vous intéresse plus ?

— Le monde est changé, sans contredit… pour moi.

— Et pour moi aussi, lady Harcourt. Le monde est changé pour nous deux. Mais la fortune qui m’a écrasé vous a été favorable.

— Vous trouvez ? Eh bien ! oui, peut-être… elle m’a été, du moins, aussi favorable que je le mérite. Quoi qu’il en soit, vous pouvez être persuadé d’une chose, c’est que je ne me plains ni ne me plaindrai jamais d’elle.

Et de nouveau le silence s’établit entre eux.

— Je voudrais bien savoir si vous pensez quelquefois au passé, dit Bertram, après un moment d’hésitation.

— En tout cas, je n’en parle jamais.

— Je le pense bien. Il ne serait pas bon d’en parler. Mais de l’abondance du cœur vient la parole. Une pensée persistante finit par se trahir dans les discours. Moi je ne sais pas penser à autre chose ; il ne me reste que cela.

Celui qui l’aurait regardée au moment où elle lui répondit, ne se serait certes pas douté de ce qui se passait dans son esprit, et du poids qui pesait sur son cœur. Elle sut maîtriser non-seulement ses traits, mais jusqu’à la couleur de son visage, jusqu’au mouvement de ses yeux. On n’y vit étinceler aucune colère ; aucune rougeur d’indignation ne se répandit sur son front en lui répondant au milieu de cette foule.

Et pourtant il y avait de l’indignation dans ses pa-