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Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/289

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— Dis-moi, Arthur, te rappelles-tu, quand je suis allé te voir à Oxford — le matin même du jour où les grades ont été connus, — combien tu étais triste, parce que tu avais échoué, et combien j’étais triomphant ?

— Je me rappelle bien ce jour-là, mais je n’ai pas souvenir que tu aies fait parade de ton triomphe.

— Si, si. J’étais triomphant — triomphant jusqu’au fond du cœur. Je croyais alors que le monde entier devait me faire place, parce que j’étais un double-premier. Et maintenant, j’ai baissé pavillon devant le monde. Qu’ai-je fait de tous les trésors de ma jeunesse ? Je les ai jetés aux pourceaux.

— Voyons, George ! tu as à peine vingt-sept ans.

— Oui, à peine ; et je n’ai ni carrière, ni fortune, ni occupation, ni ambition. Je me trouve ici, assis sur la pierre brisée d’un vieux tombeau, simplement parce que, pour moi, il vaut autant être ici qu’ailleurs. J’ai fait en sorte que personne — ni homme ni femme, — n’a à s’inquiéter de moi. Si cette brute de moricaud borgne, auquel j’ai administré une volée là-haut sur la pyramide, m’avait planté son couteau dans le ventre, à qui cela aurait-il fait quelque chose ? À toi peut-être — pendant quelques semaines.

— Tu sais que bien des gens t’auraient pleuré.

— Je ne connais qu’une seule personne. Elle aurait pleuré, elle, tandis qu’elle aurait cent fois mieux fait de se réjouir. Oui, elle aurait pleuré ; et j’ai brisé son bonheur comme le mien. Mais quelle est l’affection que je possède, dont je puisse m’enorgueillir ? Est-il un seul