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Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/345

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toujours quand on veut ménager les malades, c’est-à-dire tout doucement, sur la pointe des pieds, — ce qui les agace infiniment, — et il se trouva bientôt auprès du lit de son oncle.

Mademoiselle Baker était de l’autre côté du lit, et le vieillard avait le visage tourné vers elle. — Vous feriez mieux de passer de ce côté-ci, George, dit-elle ; cela dérange M. Bertram de se retourner.

— Elle veut dire que je ne peux pas me remuer, dit le vieillard dont la voix était encore péremptoire, bien qu’elle ne fût plus forte.

— Je ne puis pas me retourner de ce côté-là. Viens par ici.

George fit le tour du lit. Il n’aurait pu, à la lettre, reconnaître son oncle, tant il était changé. Non-seulement son visage était hagard, maigre, et déjà envahi par les ombres pâles de la mort ; mais les traits mêmes semblaient altérés. Les joues étaient rentrées, le nez pincé, et la bouche, qu’il pouvait à peine fermer, était toute tordue. Plus tard, mademoiselle Baker dit à George que tout le côté gauche était insensible. Pourtant les yeux conservaient encore quelques étincelles de leur ancien feu, — un feu comme George n’en avait jamais vu briller dans aucun autre œil humain. Ce regard âpre, que rien ne pouvait calmer, était toujours là. Ce n’était plus tant l’amour du lucre qu’on lisait dans ses yeux, que la puissance d’acquérir. Ils semblaient dire : — « Surveillez bien ce que vous possédez ; enfermez vos trésors, et barricadez vos magasins ; placez des dragons à la porte de vos plus précieux jardins ;