Page:Trollope - Les Bertram, volume 2.djvu/60

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Et à quoi tout cela l’avait-il mené ? Ces yeux si brillants, cette beauté si éclatante, ces lèvres si vermeilles, tout cela appartenait à un autre, — à un autre qui s’était montré prêt à aller plus loin que lui à la recherche des vanités de ce monde. Le prix de son apostasie s’était dérobé à lui.

Mais était-ce là tout ? était-ce même là le principal ? Cela pouvait-il se comparer à cette dernière et plus grande misère qui l’avait atteint ? Qu’était devenue sa foi de jeunesse, ardente et sincère, la croyance du fond de son cœur, son espoir joyeux et convaincu en un Dieu et un Rédempteur ? Tout cela s’était-il évanoui lorsque, sous les murs de Jérusalem, tout auprès du jardin même de Gethsémani, il avait échangé les aspirations de son âme contre l’étreinte d’une petite main blanche et douce ?

On ne perd pas tout d’un coup la foi. Celui qui a cru sincèrement ne se voit pas enlever subitement les fermes convictions de son âme. Mais l’œuvre d’ébranlement, une fois commencée, marche avec une rapidité effroyable. Il y avait trois ans à peine, la foi de Bertram était ardente comme le jeune amour ; et maintenant, quels étaient, au juste, ses sentiments ? Le monde disait généralement qu’il était impie, mais il s’en défendait avec une froide précision de langage et dans les termes les plus compassés et les plus calculés. Il soutenait que ce n’était point de l’impiété que de reconnaître, comme il le faisait, une puissance créatrice surhumaine. Il avait un Dieu à lui, un Dieu froid, prudent et exempt de passion ; le même Dieu,