Page:Trotsky - Ma vie, 1934.djvu/32

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Dans une famille comme celle des Spenzer, la voix de la critique politique aurait retenti beaucoup plus fort quelques années plus tôt ou quelques années plus tard. Mais je me trouvai chez eux à l’époque du grand silence. On ne parlait presque jamais de politique ; on éludait les grandes questions. Sans aucun doute, je m’imprégnai de cette atmosphère des années 80 et, plus tard, quand je commençai à me former comme révolutionnaire, je me surpris à douter parfois de l’action des masses, à considérer la révolution dans un esprit livresque, dans l’abstrait, et, par suite, avec scepticisme. Je dus combattre tout cela en moi-même, par la méditation, par la lecture, surtout par l’expérience, jusqu’au jour où je surmontai les éléments d’inertie psychique.

Je fis ma septième non pas à Odessa, mais à Nikolaïev. C’était une ville provinciale ; le niveau intellectuel de l’école était, inférieur. Pourtant, l’année que je passai là (1896) fut celle d’une brisure dans mon adolescence, car, alors, se posa pour moi la question de la place que j’avais a prendre dans la société des hommes.

A Nikolaïev, je ne rencontrai pas seulement des jeunes qui tendaient vers le marxisme : j’y trouvai aussi, pour la première fois, quelques anciens déportés qui résidaient sous la surveillance de la police. C’étaient des comparses, datant de la décadence du mouvement populiste. Les social-démocrates n’en étaient pas encore à revenir de la déportation : on les y envoyait. Les deux courants contraires formaient des remous idéologiques. J’y tournai quelque temps. Le populisme sentait le moisi. Le marxisme effrayait par ce qu’on appelait son «étroitesse». Brûlant d’impatience, j’essayais de saisir les idées par le flair. Mais elles ne se livraient pas si facilement. Autour de moi, je ne voyais personne qui pût être un sûr appui. Et, en outre, à toute nouvelle conversation, je devais me convaincre, avec amertume, avec dépit, avec désespoir, de mon ignorance.