Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/107

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nues le livre pompeusement ridicule que Necker venait de publier sur la Législation des grains, et le marquis de Pezai, militaire, poëte, et surtout intrigant, qui devait frayer plus tard au banquier genevois le chemin du contrôle-général, dirigea dès lors une guerre de pamphlets et de caricatures contre les économistes. Mais Voltaire les vengea, et Turgot principalement, d’une manière éclatante par le pamphlet intitulé : Diatribe à l’auteur des éphémérides du citoyen.

Peu de temps après, une autre circonstance, la cérémonie du sacre, vint accroître le mauvais vouloir du clergé contre Turgot. Le ministre, en administrateur économe, désirait que le sacre se fît à Paris ; de plus, comme philosophe, et l’on pourrait même dire comme chrétien, il demandait, d’accord avec Malesherbes, que le roi ne prononçât pas la formule abominable d’exterminer les hérétiques, et qu’à celle de ne jamais faire grâce aux duellistes, il substituât la promesse d’employer tous les moyens qui dépendraient de l’autorité royale pour abolir un préjugé barbare. Mais les évêques, qui n’avaient pas moins d’amour pour les vieilles coutumes que d’horreur pour la tolérance, et qui, dans les remontrances périodiques qu’ils portaient au pied du trône, ne cessaient d’exciter le prince à persécuter les protestants[1], s’indignèrent d’une pareille innovation.

  1. L’année même du sacre, l’Assemblée disait à Louis XVI :

    « Nous vous en conjurons, Sire, ne différez pas d’ôter à l’erreur l’espoir d’avoir parmi nous des temples et des autels ; achevez l’ouvrage que Louis le Grand avait entrepris, et que Louis le Bien-Aimé a continué. Il vous est réservé de porter ce dernier coup au calvinisme dans vos États. Ordonnez qu’on dissipe les assemblées schismatiques des protestants : excluez les sectaires, sans distinction, de toutes les branches de l’administration publique. Votre Majesté assurera ainsi parmi ses sujets l’unité du culte catholique. » (Remontrances au 24 septembre 1775.)

    On lit encore dans les mêmes remontrances : Qu’on vous dise, Sire, pourquoi des unions que toutes les lois civiles et catholiques repoussent, sont impunément contractées au prêche sous la foi du mariage ; d’où vient que, contre la volonté du prince, on ravit tous les jours aux ministres de notre sainte religion de tendres enfants, pour les présenter aux maîtres de l’erreur, qui leur font sucer tranquillement son poison avec le lait ? »

    Ainsi, le clergé regrettait officiellement que le progrès de la morale publique eût fait tomber en désuétude une législation qui condamnait les protestants à vivre en concubinage, ou à abjurer leurs croyances, puisque, la loi ne considérant à cette époque le mariage que comme un sacrement, il dépendait de l’Église seule de lé-