Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/118

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dédaigna pas de se mêler, incognito, dans la tourbe des pamphlétaires qui assaillaient le ministre de leurs injures et de leurs calomnies.

Il est constant, néanmoins, que tout ce bruit, que Turgot méprisait, n’avait pas la puissance d’amener sa chute, à une époque où l’autorité royale était encore assez forte pour braver l’opinion publique, surtout quand ses griefs se trouvaient mal fondés. Louis XVI, à l’intelligence et à l’énergie près, était peut-être l’homme de son siècle dont le caractère eût le plus de rapport avec celui de Turgot. La vertu du contrôleur-général sympathisait avec la sienne, et il ne l’aurait certainement pas sacrifié aux clameurs des courtisans, si Maurepas, par les manœuvres les plus coupables, n’eût trompé sa religion. D’ailleurs, Turgot était l’ami de Malesherbes, et le roi portait une affection toute particulière à ce dernier.

Le premier ministre, qui depuis longtemps s’étudiait sans affectation, mais avec une adresse perfide, à perdre son collègue dans l’esprit du roi, ourdit d’abord, au commencement de 1776, une intrigue dont le succès répondit mal à ses espérances. Il avait découvert que Pezai, le preneur et le commensal de Necker, entretenait une correspondance secrète avec le roi. Maurepas caressa l’aventurier, et le décida sans peine à servir d’instrument à ses desseins contre Turgot. Deux copies de l’état, dressé par ce dernier, des recettes et des dépenses de l’année 1776, furent remises à Pezay, qui communiqua l’une à Necker et l’autre à un ancien employé du contrôle-général, que le ministre avait dû, pour

    aussi étranger aux hommes, qu’il n’avait jamais connus, qu’à la chose publique, qu’il avait toujours mal aperçue. Il s’appelait Turgot. »

    — « Frappé de ce spectacle, M. de Maurepas s’éveille en sursaut. Il n’est pas superstitieux, c’est même une espèce d’esprit-fort ; il ne croit à rien, mais il croit à sa femme. L’impression que cette machine avait laissée dans son esprit le suit partout ; il la prend pour une inspiration extraordinaire ; il ne voit plus dans Mme de Maurepas que l’organe des décrets des dieux ; et l’artificieux abbé de Véry, qui avait figuré dans ce songe, partage l’honneur du préjugé. »

    Ce pamphlet, intitulé : Le songe de M. de Maurepas, ou les machines du gouvernement français, parut le 1er avril 1776. (Voyez Soulavie, Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, tome III, pages 107 et suivantes.)