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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/124

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cipe de l’égalité civile, acheté par nos pères au prix de sacrifices sanglants que le génie du ministre de Louis XVI avait prévus, et voulait leur épargner.

Turgot quitta le ministère sans autre regret que celui de ne pouvoir plus être utile à son pays et à l’humanité. C’était la seule impression dont fût susceptible une âme d’une trempe telle que la sienne. Ayant à peine franchi le seuil de l’hôtel du contrôle-général, l’homme d’État resté philosophe plaisantait ainsi sur sa disgrâce, dans une de ces lettres où rien n’oblige à dissimuler ses sentiments : « Je vais être à présent en pleine liberté de faire usage des livres que vous m’envoyez et de tout le reste de ma bibliothèque. Le loisir et l’entière liberté formeront le principal produit net des deux ans que j’ai passés dans le ministère. Je tâcherai de les employer agréablement et utilement (22 juin 1776)[1]. »

Les sciences exactes et naturelles, la philosophie et la littérature furent[2], en effet, les seules occupations de Turgot pendant l’intervalle trop court qui a séparé sa mort du moment où il cessa de prendre part aux affaires publiques. Il employait

  1. Lettres inédites, XXI, tome II, page 834.
  2. L’activité intellectuelle de Turgot, vraiment prodigieuse, s’était appliquée de très-bonne heure à l’étude des sciences mathématiques et naturelles. En 1760, il avertissait l’astronome Lacaille de l’apparition d’une comète près du genou oriental d’Orion. Dès 1748, il adressait à Buffon des observations importantes sur sa Théorie de la terre. (Voyez Lettre à Buffon II, page 782.) L’article Expansibilité de la grande Encyclopédie, témoigne de ses connaissances en physique. Il avait étudié la chimie sous Rouelle, et la géologie avec Desmarets. Sa correspondance inédite est pleine de détails qui prouvent le vif intérêt que lui avaient inspiré toutes ces sciences.

    En littérature, il était grand admirateur des anciens. Il a laissé une traduction du Ier livre des Géorgiques et de quelques Odes d’Horace, qui ne sont pas des œuvres sans mérite. Il ne put, toutefois, se défendre d’une innovation malheureuse, celle de substituer les vers métriques aux vers rimes, et de traduire dans cette forme, repoussée par la nature de notre langue, le IVe livre de l’Énéide, et les Églogues de Virgile. (Voyez les curieux détails que renferme, à cet égard, la correspondance inédite.)

    Tout le monde sait que Turgot est l’auteur de ce beau vers, destiné au portrait de Franklin :

    Eripuit cœlo fulmen sceptrumque tyrannis.

    Il avait été nommé membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres le 1er mars 1776.