Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/126

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plus parfait et plus imposant. Il semblait que sa sagesse et sa force d’âme, en secondant les dons de la nature, ne lui eussent laissé d’ignorance, de faiblesse et de défauts, que ce qu’il est impossible à un être borné de n’en pas conserver. C’est dans cette réunion si extraordinaire que l’on doit chercher la cause et du peu de justice qu’on lui a rendu, et de la haine qu’il a excitée. L’envie semble s’attacher encore plus à ce qui approche de la perfection qu’à ce qui, en étonnant par la grandeur, lui offre, par un mélange de défauts et de vices, une consolation dont elle a besoin. On peut se flatter d’éblouir les yeux, d’obtenir le titre d’homme de génie, en combattant ou en flattant avec adresse les préjugés populaires ; on peut espérer de couvrir ses actions du masque d’une vertu exagérée ; mais la pratique constante de la vertu simple et sans faste, mais une raison toujours étendue, toujours inébranlable dans la route de la vérité ; voilà ce que l’hypocrisie, ce que le charlatanisme désespéreront toujours d’imiter, et ce qu’ils doivent tâcher d’étouffer et de détruire. »

Il serait difficile de mieux louer Turgot, si Condorcet lui-même, par l’application qu’il a faite à ce grand homme de ces trois vers de Lucain, ne lui eût consacré le plus court et le plus beau des éloges :

Secta fuit servare modum, finemque tenere,
Naturamque sequi, patriæque impendere vitam ;
Non sibi, sed toti genitum se credere mundo
[1].

Phars., lib. II.
Eug. DAIRE.

  1. Épigraphe de la Vie de Turgot, par Condorcet.