Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/136

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Celui dont la terre ne serait propre qu’au grain, et ne produirait ni coton ni chanvre, manquerait de toile pour s’habiller ; l’autre aurait une terre propre au coton qui ne produirait point de grains ; tel autre manquerait de bois pour se chauffer, tandis que tel autre manquerait de grain pour se nourrir. Bientôt l’expérience apprendrait à chacun quelle est l’espèce de production à laquelle sa terre serait le plus propre, et il se bornerait à la cultiver, afin de se procurer les choses dont il manquerait par la voie des échanges avec ses voisins, qui, ayant fait de leur côté les mêmes réflexions, auraient cultivé la denrée la plus propre à leur champ et abandonné la culture de toutes les autres.

§ III. — Les productions de la terre exigent des préparations longues et difficiles pour être rendues propres aux besoins de l’homme.

Les denrées que la terre produit pour satisfaire aux différents besoins de l’homme ne peuvent y servir, pour la plus grande partie, dans l’état où la nature les donne ; elles ont besoin de subir différents changements et d’être préparées par l’art : il faut convertir le froment en farine et en pain ; tanner ou passer les cuirs ; filer les laines, les cotons ; tirer la soie des cocons ; rouir, tiller les chanvres et les lins, en former ensuite différents tissus, et puis les tailler, les coudre pour en faire des vêtements, des chaussures, etc. Si le même homme qui fait produire à sa terre ces différentes choses, et qui les emploie à ses besoins, était obligé de leur faire subir toutes ces préparations intermédiaires, il est certain qu’il réussirait fort mal. La plus grande partie de ces préparations exige des soins, une attention, une longue expérience, qui ne s’acquiert qu’en travaillant de suite et sur une grande quantité de matières. Prenons pour exemple la préparation des cuirs. Quel laboureur pourrait suivre tous les détails nécessaires pour cette opération, qui dure plusieurs mois et quelquefois plusieurs années ? S’il le pouvait, le pourrait-il sur un seul cuir ? Quelle perte de temps, de place, de matières qui auraient pu servir en même temps ou successivement à tanner une grande quantité de cuirs ! Mais quand il réussirait à tanner un cuir tout seul ; il ne lui faut qu’une paire de souliers : que ferait-il du reste ? Tuera-t-il un bœuf pour avoir une paire de souliers ? coupera-t-il un arbre pour se faire une paire de sabots ? On peut dire la même chose de tous les autres besoins de chaque homme, qui, s’il était réduit à son champ et à son travail, consumerait beaucoup de temps