Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/151

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cun usage pour les véritables besoins de la vie. Afin d’expliquer comment ces deux métaux sont devenus le gage représentatif de toute espèce de richesses, comment ils influent dans la marche du commerce, et comment ils entrent dans la composition des fortunes, il faut remonter un peu haut et revenir sur nos pas.

§ XXXIII. — Naissance du commerce. Principe de l’évaluation des choses commerciales.

Le besoin réciproque a introduit l’échange de ce qu’on avait contre ce qu’on n’avait pas. On échangea une denrée contre une autre, les denrées contre le travail. — Pour ces échanges, il fallait que les deux parties convinssent de la qualité et de la quantité de chacune des choses échangées. — Dans cette convention, il est naturel que chacun désire recevoir le plus et donner le moins qu’il peut. — Et tous deux étant également maîtres de ce qu’ils ont à livrer en échange, c’est à chacun d’eux à balancer l’attachement qu’il a pour la denrée qu’il offre avec son désir de la denrée qu’il veut acquérir, et à fixer en conséquence la quantité des choses échangées. — S’ils ne sont pas d’accord, il faudra qu’ils se rapprochent en cédant un peu de part et d’autre, en offrant plus et se contentant de moins. — Je suppose que l’un ait besoin de blé et l’autre de vin, et qu’ils s’accordent à échanger un boisseau de blé contre six pintes de vin : il est évident que pour chacun d’eux un boisseau de blé et six pintes de vin sont regardés comme exactement équivalents, et que dans cet échange particulier le prix d’un boisseau de blé est six pintes de vin, et le prix de six pintes de vin est un boisseau de blé. Mais dans un autre échange entre d’autres hommes, le prix sera différent suivant que l’un d’eux aura un besoin plus ou moins pressant de la denrée de l’autre, et un boisseau de blé pourra être échangé contre huit pintes de vin, tandis qu’un autre boisseau sera échangé contre quatre pintes seulement. Or, il est évident qu’aucun de ces trois prix ne saurait être regardé plutôt que l’autre comme le véritable prix du boisseau de blé, car pour chacun des contractants le vin qu’il a reçu était l’équivalent du blé qu’il a donné ; en un mot, tant que l’on considère chaque échange comme isolé et en particulier, la valeur de chacune des choses échangées n’a d’autre mesure que le besoin ou le désir et les moyens des contractants balancés de part et d’autre, et n’est fixée que par l’accord de leur volonté.