Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/170

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les premiers finissent, remplacer les matières à mesure qu’elles sont consommées. On n’interromprait pas impunément les travaux d’une entreprise montée, et on ne les reprendrait pas quand on le voudrait.

L’entrepreneur a donc le plus grand intérêt de faire rentrer très-promptement ses fonds, par la vente de ses récoltes ou de ses ouvrages. D’un autre côté, le consommateur a intérêt de trouver quand il veut, et où il veut, les choses dont il a besoin ; il lui serait fort incommode d’être obligé d’acheter, au moment de la récolte, sa provision de toute une année.

Parmi les objets de la consommation habituelle, il y en a beaucoup qui exigent des travaux longs et dispendieux, des travaux qui ne peuvent être entrepris avec profit que sur une très-grande quantité de matière, et telle que la consommation d’un petit nombre d’hommes, ou d’un canton borné, ne peut suffire au débit des ouvrages d’une seule manufacture.

Les entreprises de ce genre d’ouvrages sont donc nécessairement en petit nombre, à une distance considérable les unes des autres, et par conséquent fort loin du domicile du plus grand nombre des consommateurs ; il n’y a point d’homme au-dessus de l’extrême misère qui ne soit dans le cas de consommer plusieurs choses qui ne se recueillent ainsi ou ne se fabriquent que dans des lieux très-éloignés de chez lui, et non moins éloignés les uns des autres. Un homme qui ne pourrait se procurer les objets de sa consommation qu’en les achetant immédiatement de la main de celui qui les recueille ou qui les fabrique, se passerait de bien des choses, ou emploierait sa vie à voyager.

Ce double intérêt qu’ont le producteur et le consommateur, le premier de trouver à vendre, et l’autre de trouver à acheter, et cependant de ne pas perdre un temps précieux à attendre l’acheteur ou à chercher le vendeur, a du faire imaginer à des tiers de s’entremettre entre l’un et l’autre. — C’est l’objet de la profession des marchands, qui achètent la denrée de la main du producteur pour en faire des amas ou des magasins, dans lesquels le consommateur vient se pourvoir.

Par ce moyen, l’entrepreneur, assuré de la vente et de la rentrée de ses fonds, s’occupe sans inquiétude et sans relâche à de nouvelles productions, et le consommateur trouve à sa portée et dans tous les moments les choses dont il a besoin.