Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/172

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elles sont à bas prix dans ceux où elles se vendent plus cher, bien entendu que les frais de la voiture entrent dans le calcul des avances qui doivent lui rentrer[1].

  1. M. Turgot a peint dans ce paragraphe et dans le précédent, avec une extrême justesse, la manière dont le commerce des marchands et des négociants s’est établi, et l’impossibilité où l’on était alors qu’il eût lieu sans que les négociants et les marchands fissent l’avance de très-gros capitaux qui leur étaient nécessaires pour acheter au comptant les denrées des cultivateurs ou les ouvrages des manufacturiers.

    Mais quand les profits même de ces entreprises les ont mis à portée d’avoir des richesses ostensibles qui ont répondu de leurs engagements, et une renommée qui a étendu la confiance en leurs promesses, ils ont pu acheter à la première main, en ne donnant que de faibles à-comptes, et ne remettant aux vendeurs pour le surplus que leurs promesses de payer, leurs billets exigibles à terme convenu. — Ils ont même quelquefois acheté, sans débourser d’argent, sur de simples promesses emportant un délai suffisant pour qu’ils pussent y satisfaire, après le débit définitif, avec l’argent du consommateur. (Voyez ci-après le § LXXIX.)

    Alors les négociants et les marchands n’ont plus eu besoin de capitaux que pour acquitter les frais de voiture et de magasinage, ainsi que leur dépense personnelle et celle de leurs agents, durant l’espace de temps qui doit s’écouler entre le premier achat et la dernière vente.

    Les autres capitaux, dont les négociants n’avaient d’abord pu se passer, sont devenus libres. Ils ont pu être employés directement par leurs possesseurs, ou prêtés pour d’autres usages. Ils ont fait baisser l’intérêt de l’argent, ce qui a facilité toutes les entreprises de culture, de manufactures, et beaucoup étendu celles de commerce. Ils se sont répandus sur ces entreprises intéressantes. Ils ont multiplié les travaux productifs, et les travaux conservateurs ou accumulateurs de richesses et formateurs de nouveaux capitaux.

    Ainsi l’introduction des billets de commerce, au moyen desquels il arrive en dernier résultat que ce sont les fabricants et les producteurs qui font aux consommateurs, ou plutôt à la consommation, de grands et longs crédits sous la caution intermédiaire des négociants, a naturellement imprimé à tous les travaux utiles une activité, à la progression de l’accroissement des richesses une rapidité dont on n’aurait pas pu dans les premiers temps concevoir l’espérance, ni même l’idée.

    Cet usage a fait naître divers autres emplois de capitaux ; celui de l’escompte des billets de commerce, qui donne aux vendeurs la facilité de réaliser avant l’échéance la valeur des promesses qu’on leur a faites ; celui des banques, qui fournissent aux négociants les moyens de soutenir, d’étendre, de prolonger leurs crédits ; celui des assurances, qui diminuent les dangers en les appréciant, et en y donnant garantie.

    Ce n’est pas que les crédits n’entraînent toujours quelques risques. Mais on les évalue, et l’intérêt que chacun a d’examiner et de calculer la solvabilité de ceux auxquels il confie sa propriété, fait que les accidents qui résultent de cet ordre de choses sont toujours, et en masse, beaucoup moins nuisibles, que le versement des capitaux sur l’agriculture, sur les manufactures et sur de nouvelles branches de commerce n’est avantageux au genre humain. (Note de Dupont de Nemours.)