Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux présages. Lorsqu’il était au collège de Louis-le-Grand, ses parents s’aperçurent que la petite pension qu’ils lui accordaient pour ses menus plaisirs, disparaissait avec une promptitude extraordinaire ; ils en voulurent savoir la cause, et chargèrent le principal de surveiller avec beaucoup d’attention l’emploi que faisait leur fils de son argent. Il fut bientôt reconnu qu’il s’empressait de le distribuer à ses camarades, externes et pauvres, pour acheter des livres. Ce n’était certainement pas, comme le remarque Condorcet, un écolier ordinaire, que celui qui raisonnait ainsi la bienfaisance.

Cet enfant, qui montrait un si noble caractère et qui se livrait à l’étude avec la plus grande ardeur, était cependant rebuté par sa mère toutes les fois qu’il revenait dans la maison paternelle. La bonne femme le regardait presque comme un idiot, parce qu’il n’excellait pas dans l’art de faire la révérence, et qu’il paraissait gauche dans un monde dont il n’avait pas l’habitude. Ne comprenant pas la sauvagerie naturelle d’un esprit sérieux, elle la combattait sans cesse par de maladroits reproches, qui produisaient un résultat tout contraire à ses vues. Au lieu de chercher à devenir plus aimable, le jeune homme s’enfuyait dès qu’il survenait une visite. Caché derrière un paravent, ou blotti sous un canapé, rapporte l’abbé Morellet, qui l’avait oui dire à Mme Dupré de Saint-Maur, très-liée avec Mme Turgot, il ne sortait plus de cette retraite que par les injonctions de sa mère ou le départ des visiteurs. Ces circonstances expliquent comment plus tard, malgré la supériorité et la fermeté de son esprit, Turgot ne parvint pas à vaincre complètement une certaine timidité extérieure, dont l’embarras se traduisait quelquefois par des formes qui avaient l’apparence du dédain, et qui choquèrent surtout l’orgueil des courtisans, lorsqu’il devint ministre.

Au collège du Plessis, il eut pour professeur de rhétorique Guérin, bon littérateur, et pour professeur de philosophie l’abbé Sigorgne, le premier membre de l’Université qui substitua l’enseignement de la physique de Newton aux rêveries du cartésianisme. Il se lia en même temps avec l’abbé Bon,