Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/185

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L’intérêt de l’argent prêté doit donc être plus fort que le revenu d’une terre achetée pour le même capital, car si le prêteur trouvait à acheter une terre d’un revenu égal, il préférerait cet emploi[1]

§ LXXXVI. — L’argent placé dans les entreprises de culture, de fabrique et de commerce, doit rapporter plus que l’intérêt de l’argent prêté.

Par une raison semblable, l’argent employé dans l’industrie ou dans le commerce doit rapporter un profit plus considérable que le revenu du même capital employé en terres ou l’intérêt du même argent prêté ; car ces emplois exigeant, outre le capital avancé, beaucoup de soins et de travail, s’ils n’étaient pas lucratifs, il vaudrait bien mieux se procurer un revenu égal dont on pourrait jouir sans rien faire. Il faut donc que, outre l’intérêt de son capital, l’entrepreneur retire chaque année un profit qui le récompense de ses soins, de son travail, de ses talents, de ses risques, et qui de plus lui fournisse de quoi remplacer le dépérissement annuel des avances qu’il est obligé de faire dès le premier moment en effets susceptibles d’altération et qui sont exposés à toutes sortes d’accidents.

§ LXXXVII. — Cependant les produits de ces différents emplois se limitent les uns par les autres, et se maintiennent malgré leur inégalité dans une espèce d’équilibre.

Les différents emplois des capitaux rapportent donc des produits très-inégaux ; mais cette inégalité n’empêche pas qu’ils n’influent réciproquement les uns sur les autres, et qu’il ne s’établisse entre eux une espèce d’équilibre, comme entre deux liqueurs inégalement pesantes, et qui communiqueraient ensemble par le bas d’un siphon renversé, dont elles occuperaient les deux branches ; elles ne seraient

  1. Quand l’auteur dit que l’intérêt de l’argent prêté doit être plus fort que le revenu d’une terre achetée pour le même capital, on sent bien qu’il ne veut pas dire que cela doive être ainsi statué par les lois. Il a très-bien prouvé plus haut (paragraphes lxxiv et lxxv) que les lois ne doivent point fixer le taux de l’intérêt de l’argent dans le commerce. Ainsi, tout ce que sa phrase signifie, est que la chose arrive naturellement.

    Les lois et les tribunaux ne sont obligés de statuer que sur les intérêts judiciaires, tels que celui qu’un tuteur doit à son pupille, ou qu’un créancier peut exiger de son débiteur, après la demande faite eu justice. Dans ce cas même il suffit que la loi prescrive de se conformer au taux que présente le revenu des terres, constaté par des actes de notoriété. Il est raisonnable de prendre alors pour règle le taux que présente le revenu des terres, quoique ce soit celui qui donne l’intérêt le plus bas, parce que la loi ne saurait exiger d’un tuteur, ou de tout autre homme, plus que l’emploi qui assure le mieux la propriété de celui auquel appartient le capital qui est entre leurs mains, et que cet emploi est évidemment l’achat d’une terre. (Note de Dupont de Nemours.).