Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/197

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denrées de nécessité première, dont la plus grande pauvreté ne dispense pas ; et en tout pays, on sait que l’habitude du tabac, une fois contractée, devient un besoin également impérieux.

Quand leur consommation serait moins générale et moins nécessaire, n’est-il pas de principe, et dans les principes les mieux démontrés par Smith, que nul ouvrier ne travaille que pour obtenir son salaire, c’est-à-dire les jouissances auxquelles la concurrence des autres ouvriers de la même profession et de la même capacité lui donne droit de prétendre ?

Si donc une autorité quelconque lui enlève provisoirement une partie de ce salaire, il faut bien que l’entrepreneur qui le paye y supplée par une augmentation qui le remette au pair ; et, pour l’y remettre, il faut que cette augmentation, outre le remboursement de l’impôt qu’on l’a forcé d’avancer, le dédommage du désagrément, de l’embarras, des frais qu’a pu lui occasionner cette avance à laquelle il a été contraint. Car la seule condition qui ne puisse être violée est l’intégrité du salaire, ou des jouissances que la concurrence a permises et promises.

Si l’on imaginait des circonstances qui parussent rendre plausible qu’une partie du salaire destiné aux jouissances de l’ouvrier pût être entamée, il en résulterait que la concurrence pour obtenir ce salaire deviendrait moindre : ce qui forcerait encore l’entrepreneur de consentir au renchérissement.

Et il demeure toujours évident que moins la consommation de l’ouvrier sera chargée, plus il y aura de concurrence entre les ouvriers ; et plus chacun d’eux, étant assuré des jouissances que son état comporte, se contentera de ces jouissances sans exiger un salaire plus fort que celui qui peut y satisfaire.

Smith ne se tire de là que par l’exposition d’un fait qui ne paraît concluant que lorsqu’il est mal examiné ; et Smith était un des hommes les plus capables de bien examiner, de bien discuter un fait. « Les salaires, dit-il, ne sont pas haussés en Angleterre depuis l’introduction et l’augmentation des impôts ou taxes qui en emportent une partie. »

Qu’est-ce que cela prouve ? — Le fait tient à deux causes.

D’une part, l’accroissement de la population, qui a été très-remarquable, et ne vient certainement pas des taxes sur les consommations, a fait que, la concurrence étant plus grande, les ouvriers ont été moins excités à réclamer la même étendue de jouissances ou de salaire. De l’autre part, le perfectionnement des arts et la division du travail, rendant moins dispendieuse la fabrication d’une multitude de choses à l’usage des ouvriers, leur a permis à peu près la même masse de jouissances réelles, quoiqu’une partie de leurs salaires ait été détournée de son emploi naturel.

Mais, si ce salaire était déchargé de la contribution qu’il supporte, il est clair que la concurrence le restreignant à ce que les jouissances de l’ouvrier exigent, c’est-à-dire à ce que l’ouvrier en retire véritablement, ce salaire baisserait au moins de tout ce que l’impôt en enlève.

L’impôt renchérit donc le salaire.

Smith en liberté, Smith dans sa chambre ou dans celle d’un ami, comme je l’ai vu quand nous étions condisciples chez M. Quesnay, se serait bien gardé de le nier.

Lui qui raisonnait si bien, n’a fait aucun raisonnement en faveur du genre d’impôts dont son pays a donné l’exemple le plus exagéré. Il se borne à un