Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/253

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ties ne peut, sans injustice, exiger plus qu’elle n’a donné, a un fondement vrai ; mais la manière dont elle est énoncée renferme un sens faux et qui peut induire en erreur. Dans tout échange de valeur contre valeur (et toute convention proprement dite, ou à titre onéreux, peut être regardée comme un échange de cette espèce), il y a un sens du mot valeur dans lequel la valeur est toujours égale de part et d’autre ; mais ce n’est point par un principe de justice, c’est parce que la chose ne peut être autrement. L’échange étant libre de part et d’autre, ne peut avoir pour motif que la préférence que donne chacun des contractants à la chose qu’il reçoit sur celle qu’il donne. Cette préférence suppose que chacun attribue à la chose qu’il acquiert une plus grande valeur qu’à la chose qu’il cède relativement à son utilité personnelle, à la satisfaction de ses besoins ou de ses désirs. Mais cette différence de valeur est égale de part et d’autre ; c’est cette égalité qui fait que la préférence est exactement réciproque et que les parties sont d’accord. Il suit de là qu’aux yeux d’un tiers les deux valeurs échangées sont exactement égales l’une à l’autre, et que par conséquent, dans tout commerce d’homme à homme, on donne toujours valeur égale pour valeur égale. Mais cette valeur dépend uniquement de l’opinion des deux contractants sur le degré d’utilité des choses échangées pour la satisfaction de leurs désirs ou de leurs besoins : elle n’a en elle-même aucune réalité sur laquelle on puisse se fonder pour prétendre que l’un des deux contractants a fait tort à l’autre. S’il n’y avait que deux échangeurs, les conditions de leur marché seraient entièrement arbitraires ; et, à moins que l’un des deux n’eût employé la violence ou la fraude, les conditions de l’échange ne pourraient en aucune manière intéresser la morale. Quand il y a plusieurs échangeurs, comme chacun d’eux est intéressé à ne pas acheter plus cher de l’un ce qu’un autre consent à lui donnera meilleur marché, il s’établit, par la comparaison de la totalité des offres à la totalité des demandes, une valeur courante qui ne diffère de celle qui s’était établie dans l’échange entre deux hommes seuls, que parce qu’elle est le milieu entre les différentes valeurs qui auraient résulté du débat des contractants pour chaque change considéré à part. Mais cette valeur moyenne ou courante n’acquiert aucune réalité indépendante de l’opinion et de la comparaison des besoins réciproques elle ne cesse pas d’être continuellement variable, et il ne peut en résulter aucune obligation de