Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/27

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qu’il emprunte : il en a besoin ou pour payer ses dettes, ou pour les dépenses de l’État ; il ne peut par conséquent restituer qu’en prenant sur ses fonds, et dès lors, il se ruine s’il emprunte plus qu’il n’a. Son crédit ressemble à celui du clergé. En un mot, tout crédit est un emprunt et a un rapport essentiel à son remboursement. Le marchand peut emprunter plus qu’il n’a, parce que ce n’est pas sur ce qu’il a qu’il paye et les intérêts et le capital, mais sur les marchandises qu’il achète avec de l’argent comptant qu’on lui a prêté, qui, bien loin de dépérir entre ses mains, y augmentent de prix par son industrie.

L’État, le roi, le clergé, les États d’une province, dont les besoins absorbent les emprunts, se ruinent nécessairement, si leur revenu n’est pas suffisant pour payer tous les ans, outre les dépenses courantes, les intérêts et une partie du capital de ce qu’ils ont emprunté dans le temps des besoins extraordinaires[1]. »

On voit par ces lignes que Turgot, du fond du séminaire, comprenait le crédit comme le comprirent plus tard Ad. Smith, J.-B. Say et tous les maîtres de la science. Il ne lui accorde pas, à l’exemple des disciples de Law, la vertu prodigieuse de créer des capitaux, mais celle seulement d’en activer la circulation. Il évite surtout de tomber dans la confusion, imaginée par la même école, et que l’on tient toujours à maintenir, du crédit public et du crédit commercial, pour assimiler les déplorables abus de l’un aux salutaires effets de l’autre. Il précise d’une manière admirable le caractère de ces deux sortes de crédits, non pour établir que les emprunts contractés par l’État ne puissent, dans certains cas, être utiles ou nécessaires, mais pour montrer où conduit leur excès, indépendant de l’usage auquel on les applique, puisqu’il n’est pas plus donné à un gouvernement qu’à un simple particulier de dépenser sans cesse au delà de son revenu. Ainsi le veut l’axiome ex nihilo nihil, qui, avant comme après Turgot, ne fut jamais infirmé par l’histoire.

  1. Lettre à l’abbé de Cicé sur le papier-monnaie, tome I, pages 95 et 96.