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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/270

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bitement toutes les négociations d’argent. L’opinion et la réalité du risque varient encore plus d’un homme à l’autre, et augmentent ou diminuent dans tous les degrés possibles. Il doit donc y avoir autant de variations dans le taux de l’intérêt. Une marchandise a le même prix pour tout le monde, parce que tout le monde la paye avec la même monnaie, et les marchandises d’un usage général, dont la production et la consommation se proportionnent naturellement l’une à l’autre, ont longtemps à peu près le même prix. Mais l’argent dans le prêt n’a le même prix ni pour tous les hommes, ni dans tous les temps, parce que dans le prêt, l’argent ne se paye qu’avec une promesse, et que si l’argent de tous les acheteurs se ressemble, les promesses de tous les emprunteurs ne se ressemblent pas. Fixer par une loi le taux de l’intérêt, c’est priver de la ressource de l’emprunt quiconque ne peut offrir une sûreté proportionnée à la modicité de l’intérêt fixé par la loi ; c’est par conséquent rendre impossible une foule d’entreprises de commerce, qui ne peuvent se faire sans risque du capital.

XXXVII. — L’intérêt du retard ordonné en justice peut être réglé par un simple acte de notoriété, sans qu’il soit besoin de fixer le taux de l’intérêt par une loi.

Le seul motif raisonnable qu’on allègue pour justifier l’usage où l’on est de fixer le taux de l’intérêt par une loi, est la nécessité de donner aux juges une règle qui ne soit point arbitraire pour se conduire dans les cas où ils ont à prononcer sur les intérêts demandés en justice, en conséquence de la demeure de payer, ou bien lorsqu’il s’agit de prescrire à un tuteur à quel denier il peut placer l’argent de ses pupilles. Mais tout cela peut se faire sans une loi qui fixe irrévocablement et universellement le taux de l’intérêt. Quoique l’intérêt ne puisse être le même pour tous les cas, cependant il y a un intérêt qui varie peu, du moins dans un intervalle de temps peu considérable, c’est l’intérêt de l’argent placé avec une sûreté à peu près entière, telle que la donne une hypothèque solide, ou la solvabilité de certains négociants dont la fortune, la sagesse et la probité sont universellement connues. C’est à cet intérêt que les juges doivent se conformer et se conforment en effet, lorsqu’ils prononcent sur les demandes d’intérêts judiciaires, ou sur les autorisations des tuteurs. Or, puisque le taux de cet intérêt varie peu et est le même pour tous, il ne faut pas une loi pour le fixer ; il suffit d’un acte de notoriété qu’on peut renouveler chaque année. Quel-