Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/355

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Dans le premier cas, soit qu’elle baisse les prix d’achat aux dépens du laboureur et des propriétaires, soit qu’elle les hausse en haussant le prix des ventes aux dépens des consommateurs, elle est, et le gouvernement avec elle, le plastron du mécontentement ou de tous les laboureurs et de tous les propriétaires du royaume, ou de tous les consommateurs, ou plutôt du mécontentement de tous, car tous seront dans le cas de se ressentir de cette variation, qui tantôt frappera sur les uns, tantôt sur les autres, et toujours sur ceux qui sont en même temps vendeurs et consommateurs, c’est-à-dire sur une très-grande partie de la société. Ce changement sera juste et nécessaire ; c’est la supposition. Mais comment prouver au peuple cette justice ? comment persuader au laboureur que la compagnie a raison de lui payer ses grains à plus bas prix ? comment persuader à l’artisan que la compagnie a raison de lui faire payer son pain plus cher ? Les principes les plus évidents, les faits les plus notoires trouvent des contradicteurs ; que sera-ce d’une multitude de faits obscurs, de l’action d’une foule de causes ignorées agissant lentement et par degrés, et dont l’effet ne se fait apercevoir que lorsqu’il s’est pour ainsi dire accumulé par le laps du temps ? À peine les politiques les plus consommés pourraient-ils (si même ils le pouvaient) calculer quand et à quel point il peut être nécessaire d’augmenter ou de diminuer le prix soit des achats, soit des ventes, et l’on imaginerait pouvoir en convaincre le peuple ! le rendre plus que raisonnable sur une matière qui le touche d’aussi près que sa subsistance ! Croit-on qu’il s’en rapportât aveuglément à cette compagnie, qu’il verrait disposer seule du prix ? Non sans doute ; il ne verrait dans l’augmentation qu’une vexation odieuse : la compagnie fût-elle composée d’anges, le peuple croira toujours qu’elle n’est composée que de fripons. Les vendeurs et les consommateurs, tour à tour irrités ou par le bas prix des achats ou par le haut prix des ventes, se réuniront sur ce point, et le gouvernement seul sera chargé de l’odieux de toutes les variations, que le peuple n’imputera jamais qu’à l’avidité de ses agents.

Si, effrayée de la clameur universelle qu’exciterait une augmentation dont il est véritablement impossible de démontrer la nécessité, la compagnie s’obstine à soutenir les prix au même point, malgré les causes qui doivent les faire varier et qui les feraient effectivement varier dans la supposition d’un commerce libre, il faut,