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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/375

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je parle. Tant qu’une partie considérable du peuple ne mangera presque point de froment ni de seigle et que les habitants des campagnes vivront, pendant une grande partie de l’année, de châtaignes, de raves et d’une mauvaise bouillie de blé noir, tant que leurs salaires et leurs moyens de subsister seront réglés en grande partie par le prix de ces chétives denrées dont on ne peut faire un objet de commerce, vu leur peu de valeur et la difficulté de les transporter, ils seront toujours exposés aux dangers de la disette toutes les fois que la perte totale de ces denrées concourra, ainsi qu’il est arrivé en 1769, avec une mauvaise récolte en grains. Car alors le vide ne peut être remplacé que par des grains, attendu que l’on ne pourrait trouver de châtaignes et de blé noir à importer, et que la valeur de ces denrées ne pourrait pas dédommager des frais du transport. Les grains sont toujours chers, puisqu’ils viennent de loin, par conséquent les subsistances sont nécessairement à un prix excessivement au-dessus des facultés d’un peuple pour qui, même lorsque les grains sont à bas prix, ils sont une espèce de luxe qu’il n’est pas en état de se procurer. Il faut donc, pour que les consommateurs ne soient plus exposés à souffrir de la disette, que la richesse générale leur ait donné assez d’aisance pour qu’ils se soient accoutumés à vivre de grains et à ne plus regarder les autres denrées de moindre valeur que comme une espèce de supplément surabondant et non comme leur nourriture principale ; il faut que leurs salaires soient montés sur le prix des grains, et non sur le prix de ces mêmes denrées. Comme les pays éloignés des abords de la navigation ne sont tels que par l’élévation du sol, ce sont pour la plupart des pays de montagnes qui produisent plus de seigle que de froment. C’est un désavantage par rapport à l’importation, parce que le seigle ayant moins de valeur, les mêmes frais de transport en augmentent le prix dans une plus grande proportion. Mais ce désavantage est compensé, parce que, lorsque le prix n’est pas trop au-dessous de celui des ports, la même raison en rend l’exportation moins avantageuse, et parce que le seigle, se conservant plus aisément que le froment, exige moins de frais et essuie moins de déchet dans le magasinage. Il suffira par cette raison que les salaires en Limousin, et dans les autres provinces dont la situation est semblable, soient montés sur le pied qu’ont les seigles au marché général, et que le peuple soit accoutumé à consommer du seigle ou d’autres denrées