Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/406

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mais l’agriculture et le commerce sont, ou plutôt l’agriculture animée par le commerce est la source de ces revenus[1]. Il ne faut donc pas que la finance nuise au commerce, puisqu’elle se nuirait à elle-même. Ces deux intérêts sont donc essentiellement unis, et s’ils ont paru opposés, c’est peut-être parce qu’on a confondu l’intérêt de la finance par rapport au roi et à l’État, qui ne meurent point, avec l’intérêt des financiers, qui, n’étant chargés de la perception que pour un certain temps, aiment mieux grossir les revenus du moment que conserver le fonds qui les produit. — Ajoutons la manière incertaine et fortuite dont s’est formée cette hydre de droits de toute espèce, la réunion successive d’une foule de fiefs et de souverainetés, et la conservation des impôts dont jouissait chaque souverain particulier, sans que les besoins urgents du royaume aient jamais laissé le loisir de refondre ce chaos et d’établir un droit uniforme ; enfin la facilité que la finance a eue dans tous les temps de faire entendre sa voix au préjudice du commerce.

La finance forme un corps d’hommes accrédités, et d’autant plus accrédités, que les besoins de l’État sont plus pressants, toujours occupés d’un seul objet, sans distraction et sans négligence, vivant dans la capitale et dans une relation perpétuelle avec le gouvernement. Les négociants, au contraire, occupés chacun d’un objet particulière, dispersés dans les provinces, inconnus et sans protection, sans aucun point de réunion, ne peuvent à chaque occasion particulière élever qu’une voix faible et solitaire, trop sûrement étouffée et par la multitude des voix de leurs adversaires et par leur crédit, et par la facilité qu’ils ont d’employer à la défense de leurs intérêts des plumes exercées. — Si le négociant consent à abandonner le soin de ses affaires pour soutenir une contestation plutôt que de céder, il risque beaucoup de succomber ; et lors même qu’il triomphe, il reste toujours à la merci d’un corps puissant qui a, dans la rigueur des lois qu’il a suggérées au ministère, un moyen facile d’écraser le négociant ; car (et ceci n’est pas un des moindres abus) il existe plusieurs lois de ce genre impossibles dans l’exécution, et qui ne servent aux fermiers qu’à s’assurer de la soumission des particuliers par la menace d’en faire tomber sur eux l’application rigoureuse.

M. de Gournay pensait que le bureau du commerce était bien moins utile pour conduire le commerce, qui doit aller tout seul, que

  1. Voir la note de la page 275.