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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/420

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solennel et par conséquent plus rare. Cette différence, qui frappe au premier coup d’œil, paraît être celle qui détermine dans l’usage l’application de ces deux mots ; elle provient cependant elle-même d’une autre différence plus cachée, et pour ainsi dire plus radicale, entre ces deux choses. Nous allons la développer.

Il est évident que les marchands et les acheteurs ne peuvent se rassembler dans certains temps et dans certains lieux sans un attrait, un intérêt qui compense ou même qui surpasse les frais du voyage et du transport des denrées ou des marchandises. Sans cet attrait chacun resterait chez soi : plus il sera considérable, plus les denrées supporteront de longs transports, plus le concours des marchands et des acheteurs sera nombreux et solennel, plus le district dont ce concours est le centre pourra être étendu. Le cours naturel du commerce suffit pour former ce concours et pour l’augmenter jusqu’à un certain point. La concurrence des vendeurs limite le prix des denrées, et le prix des denrées limite à son tour le nombre des vendeurs[1]. En effet, tout commerce devant nourrir celui qui l’entreprend, il faut bien que le nombre des ventes dédommage le marchand de la modicité des profits qu’il fait sur chacune, et que par conséquent le nombre des marchands se proportionne au nombre actuel des consommateurs, en sorte que chaque marchand corresponde à un certain nombre de ceux-ci. Cela reconnu, je suppose que le prix d’une denrée soit tel, qu’afin d’en soutenir le commerce il soit nécessaire d’en vendre pour la consommation de trois cents familles ; il est évident que trois villages, dans chacun desquels il n’y aura que cent familles, ne pourront entretenir qu’un seul marchand de cette denrée. Ce marchand se trouvera probablement dans celui des trois villages où le plus grand nombre des acheteurs pourra se rassembler plus commodément ou à moins de frais, parce que cette

  1. La dernière partie de cette proposition nous paraît manquer d’exactitude. Le prix des choses, qui, sauf les accidents du marché, équivaut toujours au montant des frais de production, ne saurait exercer aucune influence sur le nombre des vendeurs : ce qui règle ce nombre, en thèse générale et dans tout commerce, c’est uniquement le taux des profits. On peut objecter, il est vrai, que les profits sont affectés par la valeur courante des marchandises : mais ce n’est pas là une raison pour les confondre avec cette valeur même, qui en est fort distincte. Pour ceux qui veulent placer des fonds dans une branche de commerce, cette valeur n’a pas d’intérêt absolu, et ils n’y ont égard qu’en sa qualité d’indice des profits que les circonstances leur permettront de réaliser. Au fond, Turgot l’entendait bien de cette manière ; mais il a, selon nous, mal rendu sa pensée. (E. D.)