Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/45

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pas besoin d’un semblable secours. « On n’a pas roué Cartouche, écrit Turgot, comme mauvais catholique, mais comme mauvais citoyen. »

Mais, dira-t-on peut-être, la puissance publique n’étant exercée que par des hommes qui sont toujours sujets aux passions et à l’erreur, le bien de l’État servira de prétexte à l’oppression des consciences, et la liberté religieuse ne sera jamais qu’une fiction. Turgot prévient l’objection, et répond d’abord que l’abus qu’on redoute ne découlerait pas des principes qu’il a posés ; ensuite, qu’il doit exciter peu d’inquiétude dans un pays où l’on n’opposerait pas d’obstacles au progrès des lumières, et où l’on aurait à cœur de répandre et d’éclaircir toutes les notions du droit public.

Il arriverait infailliblement alors qu’on comprendrait que la tolérance est cent fois préférable à la persécution pour ramener les hommes de l’erreur à la vérité. On souffrirait donc les dogmes mêmes qui choquent un peu le bien de l’État, pourvu qu’ils ne renversassent pas les fondements de la société ; et en ne pressant pas le ressort du fanatisme, le temps ne serait pas long à venir où la raison générale ferait tomber dans le mépris toutes les croyances erronées.

De cette séparation radicale de l’ordre spirituel et de l’ordre temporel, de la doctrine qu’aucune religion ne peut revendiquer le droit d’être protégée par l’État, qui doit les tolérer toutes, Turgot ne conclut pas, cependant, que l’État n’ait lui-même celui de choisir et de protéger une religion. Au contraire, il pense qu’il en a le devoir, et voici les motifs qu’il en donne :

« Je ne veux cependant pas, dit-il, interdire au gouvernement toute protection d’une religion. Je crois, au contraire, qu’il est de la sagesse des législateurs d’en présenter une à l’incertitude de la plupart des hommes. Il faut éloigner des hommes l’irréligion, et l’indifférence qu’elle donne pour les principes de la morale. Il faut prévenir les superstitions, les pratiques absurdes, l’idolâtrie dans laquelle les hommes pourraient être précipités en vingt ans, s’il n’y avait point de prêtres qui prêchassent des dogmes plus raisonnables. Il faut