Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/521

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embrasse les bases de toute l’administration politique d’une nation.

Il ne s’agit pas moins que de déterminer la manière la plus avantageuse au souverain et au peuple d’assurer les revenus de l’État, et de répartir la contribution que la société entière se doit à elle-même pour subvenir à toutes les dépenses publiques.

M. le contrôleur-général s’est contenté de proposer quelques questions ; mais j’ai pensé que chacune de ces questions tenant par bien des rapports aux premiers principes de la matière, on ne pouvait les résoudre d’une manière satisfaisante et applicable à la pratique, sans traiter cette matière dans toute son étendue, et sans en développer tous les principes dans leur ordre naturel. Il me semble que ce n’est qu’ainsi qu’on pourra parvenir à reconnaître ce qui est à faire pour le mieux ; car c’est toujours le mieux dont on doit s’occuper dans la théorie. Négliger cette recherche, sous prétexte que ce mieux n’est pas praticable dans les circonstances actuelles, c’est vouloir résoudre deux questions à la fois : c’est renoncer à l’avantage de poser las questions dans la simplicité qui peut seule les rendre susceptibles de démonstration ; c’est se jeter sans fil dans un labyrinthe inextricable et vouloir en démêler toutes les routes à la fois,

    re. L’équilibre n’avait pas reparu dans le budget depuis la mort de Colbert. Le déficit, atténué par Law au moyen de la banqueroute, s’était reformé promptement après la chute du Système. Il ne faut pas l’imputer à trop grand crime aux ministres de l’époque, car ils n’étaient pas omnipotents comme ceux de nos jours. Il était pour eux d’une extrême difficulté d’accroître les recettes, et d’une difficulté plus forte encore de réduire les dépenses. Tournaient-ils leurs efforts vers le premier point, ils soulevaient contre eux le clergé, la noblesse et le Parlement ; les tournaient-ils vers le second, c’était la cour. On ne vivait donc que d’expédients depuis près d’un demi-siècle ; mais, quand on en était à bout, la pensée surgissait d’employer des ressources plus rationnelles, et de soumettre à l’impôt tous ceux que leurs privilèges en rendaient exempts. On parlait alors de cadastres, de subventions territoriales et générales, de capitations auxquelles nul ne pourrait se soustraire, sauf toujours à ne donner que peu ou pas d’exécution à ces divers projets. C’est par suite d’une pensée de cette nature que le contrôleur général Bertin, auquel furent confiées les finances de 1760 à 1764, appela les intendants à résoudre une série de questions dont le but tendait à modifier l’assiette et la répartition de l’impôt. Turgot attachait trop d’importance à la matière pour ne pas saisir cette occasion de la traiter d’une manière approfondie : par malheur, la retraite du ministre ne lui en laissa pas le temps, et le fit renoncer à un travail dont il n’avait pas même eu le loisir d’achever le canevas, quand elle eut lieu. On jugera, par l’intérêt du fragment que nous a conservé Dupont de Nemours, combien cet abandon est regrettable, et combien son illustre ami avait pris la question de haut. (E. D.)