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qu’en Hollande la cherté des salaires suffirait pour anéantir le commerce, si le bas intérêt de l’argent, et l’activité qui en est la suite, ne compensaient pas et au delà cette cause ?

3o Je suppose pour un moment que l’épargne ait pour effet immédiat de retirer l’argent de la circulation, et de baisser la valeur vénale au préjudice du cultivateur, je dis que, s’il résulte de cette épargne une augmentation d’avances, il en résulte aussi une plus grande production, ou, si l’on veut, une diminution des frais ; en sorte que la diminution de la valeur vénale, qui vient du peu d’argent retiré de la circulation, est plus que compensée par le nombre des choses vendues, ou par une moindre valeur fondamentale[1] de chaque chose vendue ; alors il y a un avantage réel à mettre de l’argent en réserve. Or, il y a grande apparence que l’augmentation des avances fait beaucoup plus de bien, que la petite diminution des valeurs vénales occasionnée par l’épargne ne peut faire de mal. Car cette diminution sera toujours très-légère, si la libre exportation continue de faire participer nos productions au prix du marché général. Peut-être que l’augmentation de production occasionnée par la mise de nouvelles avances opérerait encore plus efficacement l’abaissement des valeurs vénales. Mais les remèdes à cet inconvénient sont dans cette même communication avec le marché général ; dans la variété des productions dont le sol est susceptible, parmi lesquelles le cultivateur peut choisir celles dont le débit lui profite le plus, et préférer les chardons au froment, s’il y trouve son avantage ; enfin, dans l’accroisse-

  1. On distingue deux sortes de valeur : la valeur fondamentale, et la valeur vénale. La valeur fondamentale est ce que la chose coule à celui qui la vend, c’est-à-dire les frais de la matière première, l’intérêt des avances, les salaires du travail et de l’industrie. La valeur vénale est le prix dont l’acheteur convient avec le vendeur. La valeur fondamentale est assez fixe et change beaucoup moins que la valeur vénale. Celle-ci ne se règle que sur le rapport de l’offre à la demande ; elle varie avec les besoins, et souvent la seule opinion suffit pour y produire des secousses et des inégalités très-considérables et très-subites. Elle n’a pas une proportion nécessaire avec la valeur fondamentale, parce qu’elle dépend immédiatement d’un principe tout différent ; mais elle tend continuellement à s’en rapprocher, et ne peut guère s’en éloigner beaucoup d’une manière permanente. Il est évident qu’elle ne peut rester longtemps au-dessous ; car, dès qu’une denrée ne peut se vendre qu’à perte, on cesse de la faire produire jusqu’à ce que la rareté l’ait ramenée à un prix au-dessus de la valeur fondamentale. Ce prix ne peut non plus être longtemps fort au-dessus de la valeur fondamentale, car ce haut prix offrant de grands profits, appellerait la denrée et ferait naître une vive concurrence entre les vendeurs. Or, l’effet naturel de cette concurrence serait de baisser les prix et de les rapprocher de la valeur fondamentale. (Note de l’auteur.)