Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/587

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui tombent ainsi au hasard sur quelques particuliers qui n’ont aucun moyen de les prévoir ni de s’en garantir.

Je connais une généralité où les collecteurs de la taille étaient chargés des rôles du vingtième, et les receveurs s’étaient mis sur le pied d’exercer aussi cette solidarité pour la dissipation des fonds des vingtièmes, malgré l’esprit des règlements sur le vingtième et la forme du recouvrement, suivant laquelle le préposé au vingtième est un homme nommé d’office et choisi par le receveur des tailles. Les élections ne faisaient aucune difficulté de les y autoriser, et l’intendant a eu quelque peine à leur persuader que cet usage était abusif.

Quoi qu’il en soit, le prétendu choix des collecteurs est une illusion. La collecte est trop onéreuse pour que personne veuille s’en charger librement. Bien loin de choisir, on est obligé de faire un tableau suivant lequel chacun passe à son tour.

On peut assurer que le syndicat pour le vingtième ne serait pas plus librement accepté, et qu’on serait de même obligé d’y faire passer chacun à son tour. Ainsi, bien loin de hâter la formation des communautés, on y ajouterait un second obstacle qui se joindrait au premier pour chasser de la campagne tout homme aisé.

Il n’y a qu’un moyen de remédier à cet inconvénient et pour le vingtième et pour la taille, c’est de rendre la collecte assez avantageuse pour qu’un homme puisse en demeurer chargé à perpétuité, sauf les cas de révocation[1]. Dans plusieurs généralités, on a établi des préposés pour le vingtième, auxquels on a donné un certain arrondissement. Dans les pays de taille réelle, où il y a des communautés, la communauté donne la levée des impositions au rabais. Si l’on adopte ce parti très-raisonnable, il faut s’attendre que dans les premiers temps les taxations seront plus fortes. Ce n’est pas un grand inconvénient, car on les regagnera au centuple par l’exemption de collecte et par le retour des propriétaires riches à la campagne. Mais quand le recouvrement sera monté, et surtout quand on en aura rendu la forme moins onéreuse aux collecteurs et aux contribuables, il y aura concurrence, et la levée se fera certainement à meilleur marché. — Les changements à faire à la forme de recouvrement demandent à être traités en particulier et d’une manière fort étendue. — Il est bien singulier que la levée des impositions royales soit une occasion de fortune pour ceux qui n’y ont aucune peine, et de ruine pour ceux qui en font véritablement tout le travail.

En déchargeant les asséeurs de l’imposition du soin de la lever et en les faisant choisir par les propriétaires, on se rapprochera un peu du but qu’on paraît avoir. Mais il sera surtout essentiel que les propriétaires choisissent un trésorier dont ils répondront, non par la voie odieuse de la solidarité, mais tous ensemble, par la voie du rejet des sommes dissipées et de l’intérêt de l’avance faite par le receveur des tailles.

Il faut l’avouer, un bon trésorier suivra mieux que qui que ce soit les changements à faire aux rôles chaque année. Toute imposition réelle tend à un cadastre, c’est-à-dire à un dénombrement de chaque espèce d’héritage avec une évaluation fixe. Lorsqu’une fois on aura atteint ce but, l’opération du rôle ne sera plus qu’une affaire de commis pour la répartition, et quant

  1. L’établissement des percepteurs ayant la qualité de fonctionnaires publics a résolu cette question. (E. D.)