Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/62

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Que si, maintenant, l’on ne tient plus compte de l’hypothèse des physiocrates, qu’on passe de l’économie politique rationnelle à l’économie politique appliquée, qu’au lieu de donner le monde pour théâtre à la science, on en resserre le champ dans tel ou tel pays, dans telle ou telle localité, nul doute que la théorie du produit net ne reçoive des faits un démenti apparent. Au fond, toutefois, ces faits n’en infirment pas plus la valeur, que les circonstances particulières qui contrarient les lois de la mécanique pure, ne portent atteinte à l’exactitude des principes que cette dernière science a démontrés. C’est ce que Turgot explique parfaitement, dans ses Observations sur le Mémoire de M. Graslin[1] (sorte d’Appendice au Traité de la formation et de la distribution des richesses), champion du système mercantile, qui avait cru soulever une objection victorieuse, contre le principe du produit net, en s’écriant : « Si l’industrie et le commerce ne produisent aucune richesse, comment les nations,


    dire beaucoup plus que ce qui lui est indispensable pour préserver lui-même et sa famille du besoin, en sachant la contenir dans de justes bornes, c’est caresser une chimère. La rente territoriale et le profit da capital, déductions nécessaires, et par conséquent légitimes, il faut le déclarer, que supportera toujours le simple travailleur, s’opposent à cette utopie d’une manière invincible. Sans doute, si la population ouvrière se maintenait dans un juste rapport avec le capital circulant, il y aurait sans cesse du travail pour tout le monde, ce qui serait une amélioration importante, et le salaire hausserait, ce qui en serait une seconde ; mais il ne faut pas croire, toutefois, que le salaire entamerait, d’une manière bien sérieuse, la rente et le profit. Si le contraire arrivait, l’intérêt à accumuler des capitaux diminuant, il s’en formerait moins ; l’équilibre dont nous avons parlé serait rompu, le salaire baisserait de nouveau, et l’on retomberait bientôt dans la situation où l’on se trouve aujourd’hui. L’amélioration du sort des classes laborieuses nous paraît donc tenir essentiellement à ces trois conditions : 1[{{{1}}}] Moralité et prudence de leur conduite ; 2o suppression de tous les monopoles artificiels qui exagèrent le profit et portent la perturbation dans l’ordre économique ; 3o assiette et répartition de l’impôt conformes à la justice, loi suprême dont l’État doit le premier exemple aux individus. Quant au mystérieux programme de l’association et de l’organisation du travail, qu’il faut traduire par ces mots : abolition de la rente et du profit ; suppression radicale de la propriété ; Dieu préserve le peuple de prendre jamais cette formule séduisante au sérieux, car il apprendrait à ses dépens que ce vers de Virgile :

    Quidquid délirant reges, plectuntur Achivi,

    n’est pas moins applicable aux aberrations des philosophes qu’aux folies des têtes couronnées.

  1. Pages 434 et suivantes de ce volume.