Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/637

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L’avantage de se borner à cette simple comparaison des fonds, sans prétendre découvrir leur valeur absolue, consiste en ce qu’il est assez évident que, si chaque particulier peut se croire intéressé à ce que son héritage soit moins estimé, à proportion, que ceux de tous les autres, ceux-ci sont tous intéressés à ce qu’il soit remis dans sa juste proportion, et ils se réunissent tous contre lui. Toute fraude de la part du particulier combat directement l’intérêt public, dès lors elle devient odieuse ; personne ne peut la mettre en pratique sans s’avouer à lui-même qu’il fait une chose malhonnête, et j’aime à croire que le plus grand nombre des hommes doit être arrêté par une pareille considération. Au contraire, lorsqu’on cherche à connaître la valeur absolue de chaque héritage et le revenu réel des particuliers, chacun se révolte et cherche à se soustraire à cette espèce d’inquisition. On craint de se nuire à soi-même en laissant voir trop exactement ce qu’on possède. On sait que l’on peut être imposé en conséquence au vingtième ; or, il est naturel de chercher à diminuer son fardeau ; et, quoique dans le fait le soulagement de l’un entraîne toujours la surcharge des autres, cette conséquence est moins directe et moins sensible dans le cas de l’estimation absolue, que dans celui de la simple comparaison. L’on se fera toujours moins de scrupule de se dérober aux recherches lorsqu’on croira ne tromper que le gouvernement, que lorsqu’on croira tromper ses voisins.

Je conviens que la connaissance de la proportion des héritages de la même paroisse entre eux ne donnera pas directement la balance des paroisses entre elles ; mais je crois la proportion d’héritage à héritage dans la même paroisse bien plus importante en elle-même, bien plus difficile à suppléer par des à-peu-près, et que de plus cette proportion une fois trouvée fournit aisément les moyens de découvrir celle de paroisse à paroisse par des voies plus simples et moins effrayantes qu’une recherche du revenu réel de tous les fonds. J’ajoute que l’évaluation par livres, sous et deniers des anciens abonnements n’a servi de rien pour fixer la proportion de paroisse à paroisse, puisque tout le monde sait que les estimations des fonds de pareille qualité situés dans différentes paroisses n’ont entre elles aucune proportion. Il en est même résulté un mal, c’est que ces mêmes estimations ayant été prises pour bases de l’imposition du vingtième, cette imposition se trouve répartie avec beaucoup d’inégalité.