Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les emploient ; il les ont gagnés comme les commissionnaires de nos grandes villes gagnent le leur ; ils leur ont été payés, en un mot, sur le produit net de l’agriculture des autres peuples. »

Il n’y a pas, d’ailleurs, expose enfin Turgot, de nations qui soient industrieuses et commerçantes par opposition à l’agriculture, et de nations qui soient agricoles, non plus, par exclusion de l’industrie et du commerce. On n’est tombé dans cette erreur, que parce que l’on a confondu le mot de nation avec celui d’État ou de corps politique, qui n’entraîne d’autre idée que celle de la réunion d’un certain nombre d’hommes sous un même gouvernement. Mais ce fait n’est pas le signe caractéristique de la nationalité, et elle n’existe, à vrai dire, que chez un grand peuple répandu sur un vaste territoire qui fournit, d’une manière directe ou indirecte, aux besoins de tous les habitants ; où l’agriculture tire du sol la subsistance et les matières premières par lesquelles l’homme pourvoit aux nécessités et aux commodités de la vie ; où l’industrie met ces matières premières en œuvre et les transforme de mille façons diverses ; où le commerce enfin rapproche les consommateurs des producteurs, épargne la peine réciproque de se chercher aux uns comme aux autres, et assure à tous la faculté de trouver la denrée qu’ils désirent au lieu et au moment où ils en ont besoin. Partout où ces données ne se rencontrent pas, c’est-à-dire où le territoire ne produit point un large superflu de matières premières et surtout de subsistances, on peut dire que l’État manque d’un principe de vitalité qui lui soit propre. Il n’y a là qu’une richesse et une puissance d’emprunt, parce qu’elles reposent tout entières sur des circonstances extérieures dont rien ne peut garantir la durée, et qu’elles sont soumises, au contraire, à la double influence des révolutions politiques et économiques qui, d’un siècle à un autre, viennent changer la face du monde. Il n’y a pas là de nations en un mot, mais seulement de petits peuples salariés, qui prospèrent selon le degré d’importance qu’on attache à leurs services, et tant qu’ils peuvent vendre ces services aux véritables nations. Mais supposez-les privés de