Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/739

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ser en même temps que mon Avis, j’ai appuyé sur une autre considération non moins décisive. Je vous avais déjà rappelé dans mon Avis ce que j’avais prouvé précédemment à M. de Laverdy, que, par une suite de la surcharge qu’éprouvait depuis longtemps cette province dans la masse de ses impositions, le recouvrement s’y trouvait arriéré de temps immémorial, de façon que les impositions n’étaient en général soldées qu’à la fin de la troisième année, et que le seul moyen de rapprocher des temps ordinaires les recouvrements arriérés, était de mettre la province en état de s’acquitter par degrés, en diminuant la surcharge qui lui laisse à peine de quoi se soutenir au point où elle est, sans augmenter la masse des arrérages. Dans ma lettre, je vous ai mis sous les yeux la comparaison des recouvrements en 1770, avec les recouvrements en 1769. Comme l’année n’était pas encore finie alors, je n’ai pu vous en présenter qu’un tableau incomplet. Je viens de le faire relever exactement sur les états des recouvrements de chaque mois : il en résulte qu’en 1769 la totalité des payements sur toutes les impositions des années non encore soldées a été de 4,415,431 liv. 17 sous 10 deniers. En 1770, la totalité des payements n’a été que de 3 millions 513,945 liv. 10 sous dix deniers. La province s’est donc arréragée, en 1770, de 901,486 liv. 7 sous, ou en nombre rond de plus de 900,000 francs. C’est environ le quart du total de ses impositions. Réunissez, monsieur, cette augmentation énorme dans ce que la province doit payer en 1771, avec un vide de près de 4 millions sur la somme d’argent existante dans la province, et voyez s’il est possible, je dis possible physiquement, qu’elle paye le courant et ces énormes arrérages, et je ne dis pas sans écraser les contribuables, je dis même en les écrasant.

Cependant, monsieur, je n’ai encore insisté que sur les suites des désastres qu’a versés sur elle la disette de 1769 à 1770. Que sera-ce, si vous faites entrer en considération les malheurs qu’elle a éprouvés de 1770 à 1771, malheurs qui lui sont tellement particuliers, qu’à proprement parler elle ne les partage qu’avec deux provinces voisines ? Je sais que le défaut de récolte n’a pas été aussi général que l’année dernière ; mais, dans la plus grande partie de la province, la récolte cependant a encore été très-médiocre, et dans tout le canton de la Montagne elle a été presque nulle. Dans ce malheureux canton, aucune denrée ne peut suppléer au vide des grains.