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LETTRE
AUX
OFFICIERS DE POLICE DES VILLES DE LA GÉNÉRALITÉ DE LIMOGES,
AYANT DES MARCHÉS DE GRAINS[1].


Limoges, le 15 février 1765.

J’ai eu lieu de m’apercevoir, monsieur, par la fermentation qu’a excitée dans quelques villes et bourgs de cette province le transport d’un petit nombre de mesures de grains d’un lieu à l’autre, et par les lettres que j’ai reçues à cette occasion des magistrats de ces villes, qui me faisaient part de leur embarras, que les dispositions

  1. On a vu, dans les Avis de M. Turgot sur les impositions de sa généralité, pour les années 1765 et 1766, combien le défaut de récolte résultant de la grêle, des inondations, et d’autres intempéries, avait exposé la subsistance de la province.

    Il était de la plus grande nécessité que les cantons qui avaient quelque approvisionnement pussent secourir ceux qui en étaient dénués, et que les négociants, auxquels M. Turgot avait persuadé de faire venir des grains du dehors, pussent les conduire aux lieux de leur destination, à ceux où les plus hauts prix certifiaient les plus grands besoins.

    Mais les habitants des villes où les grains surabondaient, ou qui étaient au moment d’en recevoir en remplacement de ceux dont ils secouraient leurs voisins, agités, soit par des esprits brouillons, soit par leurs seules craintes, refusaient ce secours, mettaient obstacle au transport, demandaient aux magistrats des perquisitions chez les propriétaires et chez les marchands, invoquaient des taxations de prix qui auraient empêché l’arrivée des grains qu’on attendait.

    Et des magistrats ou faibles, ou voulant caresser l’opinion pour des applaudissements du jour, germes inévitables des maux du lendemain, ou partageant même les préjugés du peuple qui sur cette matière ont été si longtemps ceux des tribunaux, encourageaient l’émotion des esprits par leur condescendance, par leurs discours, loin de travailler à la dissiper.

    M. Turgot a toujours cru que la persuasion était un des plus puissants ressorts de l’autorité, et devait, dans les circonstances difficiles, en appuyer l’énergie.

    Il fit réimprimer la déclaration du 25 mai 1763 et l’édit de juillet 1764, qui établissaient la liberté du commerce et de la circulation des grains. Il y joignit un très-bon ouvrage de M. Letrosne, intitulé : La liberté du commerce des grains toujours utile et jamais nuisible. Il accompagna le tout d’une Lettre circulaire aux officiers de police (celle ci-dessus), qui, répandue abondamment dans la province, chez les magistrats, les subdélégués, les curés, les gentilshommes, les bourgeois les plus instruits, parvint de proche en proche à calmer l’effervescence et à laisser répartir l’approvisionnement d’une manière paisible et efficace. (Note de Dupont de Nemours.)