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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/795

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valeur de ses récoltes dans les années abondantes et dans les années stériles, ne trouve pas, outre la rentrée de ses frais, un profit suffisant, il diminuera sa culture jusqu’au point où les grains, devenus plus rares, augmenteront assez de prix pour lui procurer ce profit et ce revenu qu’il cherche.

Toutes les mesures auxquelles on se laisserait entraîner, en écoutant le vœu du peuple, iraient donc directement contre son objet, puisqu’elles tendraient à empêcher de porter du secours aux lieux qui en ont le plus de besoin ; à rendre le superflu des années abondantes inutile par le défaut de magasins pour suppléer à la disette des années stériles ; à diminuer, par le découragement du laboureur, la quantité des terres ensemencées, et à ôter au peuple la seule ressource qu’il ait pour vivre, en mettant les propriétaires dans l’impossibilité de payer son travail par la diminution de leur revenu.

Il n’y a qu’une terreur panique et extravagante qui puisse faire imaginer que l’enlèvement des grains soit jamais une cause de disette. On ne transporte des grains qu’afin de gagner sur leur vente. Pour gagner, il faut qu’on puisse vendre le grain plus cher que le prix du premier achat et les frais de transport joints ensemble. Ceux de chez qui l’on transporte payeront donc toujours les grains moins cher que ceux à qui on les porte, de tout le montant des frais de transport et du gain des marchands. Il est donc impossible que le blé sorte d’un lieu où il y a déjà cherté, car les frais de transport ne sont que trop considérables. Ils le sont au point que, s’il y a quelque chose à craindre, c’est bien plutôt que l’on ne puisse quelquefois se procurer des grains dans les lieux où ils manquent qu’à un prix excessif, quoiqu’ils soient à très-bon marché dans les lieux d’où on les tire ; et c’est ce qui prouve encore plus la nécessité de suppléer à la difficulté des transports trop éloignés par des emmagasinements considérables, et par conséquent d’encourager les magasins par la protection la plus décidée, et par l’assurance la plus entière que ceux qui en auront fait auront la liberté de les vendre à qui ils voudront, quand ils le voudront, au prix qu’ils voudront. Lorsqu’on aura goûté quelques années cette précieuse liberté, lorsque le commerce des grains sera devenu l’objet des spéculations d’un grand nombre de négociants, que les correspondances seront établies, les magasins multipliés, alors on jouira de tous les avantages de ce commerce, et on les connaîtra.