Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préciés par Turgot[1], qui croyaient jouer le rôle d’hommes d’État, et qui, jusqu’à la dernière heure, ne soupçonnèrent point qu’ils creusaient leur tombe de la même main qui démolissait la monarchie !

Venaient ensuite les sommités du tiers, comprenant les financiers, les gens de lettres, et les capitalistes voués à l’industrie manufacturière et commerciale.

Les premiers, quoique jaloux de toute supériorité sociale qui n’avait pas l’argent pour principe, caressaient les philosophes, et ne vivaient pas en mauvaise intelligence avec la noblesse[2]. Le parlement même ne leur aurait pas déplu, si son intervention en matière d’impôt n’eût été nuisible à l’extension de leurs profits. À part ce point, ils n’apercevaient la nécessité d’aucune réforme. « Pourquoi donc innover ? Est-ce que nous ne sommes pas bien ? » s’écriait naïvement un fermier-général.

Les gens de lettres se partageaient en deux camps, où dominaient des passions bonnes et mauvaises. À la haine du despotisme et de l’intolérance, manifestée avec courage, les encyclopédistes mêlaient, par malheur, des théories fort aventureuses sur la nature et l’étendue des droits de l’homme, en même temps qu’ils sapaient la notion du devoir au fond des cœurs, par un enseignement philosophique qui détruisait les bases de la morale aussi bien que celles de toutes les croyances religieuses. Dans le parti contraire, on combattait pour les idées d’ordre, mais on en séparait avec obstination celles de progrès, et l’on trouvait des arguments pour justifier tous les abus. L’école de Quesnay, de l’aveu même des contemporains, était la seule qui s’occupât sérieusement d’améliorer le sort du plus grand nombre, et qui, dans une attitude digne et calme, fondât ses projets de réforme sur l’étude et l’observation.

Elle méritait, en un mot, d’être louée un jour par la plume brillante de l’historien de la science, qui n’a été que juste lors-

  1. Voyez Mémoire au Roi sur les édits de février 1776, tome II, pages 239.
  2. Voyez tome II, Correspondance, page 555, les détails que donne Turgot sur Helvétius, et le jugement qu’il porte des doctrines philosophiques de cet écrivain.