Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/87

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toire attestait l’impuissance, et une révolution. Or, Turgot n’aurait pas mérité le titre d’homme d’État, s’il eût exposé son pays à une pareille alternative. Quant à la réserve au prince du pouvoir législatif, elle venait de la croyance du philosophe, que, du moment où la société est parvenue à un certain état de civilisation, ce pouvoir y offre moins d’inconvénients entre les mains d’un seul homme que dans celles d’une assemblée représentative, quelle que soit la forme adoptée pour sa composition. Si l’on est encore partagé sur cette question de nos jours, il nous semble qu’elle n’offrait point matière au doute du temps de Turgot. Comme il importe peu par qui les lois soient faites, pourvu qu’elles soient bonnes, il est certain qu’à cette époque le Conseil du prince en eût fait de meilleures qu’une réunion quelconque de privilégiés qui auraient toujours subordonné l’intérêt général à leurs intérêts personnels. Il existait, d’ailleurs, dans l’ensemble des innovations projetées par le ministre, une raison particulière pour qu’il en fût ainsi : c’est que, par la fixité proportionnelle de l’impôt territorial avec le revenu, le gouvernement perdait la puissance de se créer des ressources financières supérieures aux besoins véritables de l’État. Et, comme il n’est guère de mauvaise loi qui, bien examinée, ne laisse apparaître pour objet la solde d’un abus, pour cause la possibilité de dépouiller la masse du peuple au profil de certaines classes sociales, on n’aperçoit pas, à vrai dire, cette possibilité détruite, quel intérêt aurait eu le gouvernement à établir de mauvaises lois.

Tel était donc le plan général de Turgot à son arrivée dans le ministère. Il serait superflu de dire qu’il résultait de toutes ses études antérieures sur l’économie de la société ; mais il est important de ne pas omettre qu’il n’entra jamais dans son esprit de l’exécuter avec précipitation. Il avait appris, à l’école de Gournay, que la mesure est nécessaire dans la réforme des abus, que toutes les améliorations ont besoin d’être préparées, et que les secousses trop subites sont dangereuses ; mais il n’avait pas oublié non plus cet autre enseignement du même philosophe, que la prudence dans la pratique du mieux a ses