Page:Twain - Le Journal d'Adam, paru dans Les Nouvelles littéraires du 27 avril 1935.djvu/8

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Dix jours plus tard. — Elle m’accuse d’être en partie cause du désastre ! Elle est bonne, celle-là !

L’année suivante. — Nous l’avons appelé Caïn. Elle l’a pris pendant que je piégeais dans un pays du Nord. Elle l’a attrapé dans la futaie, à deux milles de notre exploitation, peut-être à quatre milles ; elle ne sait pas exactement. Il nous ressemble par certains côtés et peut appartenir à notre race ; du moins c’est l’opinion d’Ève, mais je crois qu’elle se trompe.

La différence de taille m’amène à conclure que c’est une nouvelle espèce d’animal, peut-être un poisson, quoique, en le trempant dans l’eau, il soit allé au fond ; elle l’a repêché avant que l’expérience ait pu donner une solution probante. Malgré tout, je crois que c’est un poisson ; elle ne s’inquiète pas de ce qu’il est, et ne veut pas me le prêter pour que je l’examine. Je ne peux pas la comprendre. La venue de ce demier petit être semble avoir changé entièrement sa nature ; Ève est timorée maintenant, quant aux expériences à faire. Elle s’en occupe beaucoup plus que des autres animaux, sans pouvoir expliquer pourquoi. Son esprit est détraqué : tout le prouve. Parfois elle promène ce poisson dans ses bras toute la nuit quand il grogne et veut aller à l’eau. À ces moments-là, elle laisse échapper de l’eau des trous de sa figure par lesquels entre le jour, elle caresse le poisson sur le dos, et produit avec sa bouche des sons très doux qui le calment ; elle trouve mille moyens de lui prouver sa sollicitude et sa tendresse. Je ne l’ai jamais vue ainsi avec d’autres poissons et ses manières me troublent étrangement. Elle portait ainsi les jeunes tigres autrefois, et jouait avec eux avant que nous n’ayons perdu notre propriété, mais ce n’était qu’un jeu ; elle ne s’en est jamais autant préoccupée quand leur nourriture n’était pas de leur goût.

Dimanche. — Elle ne travaille pas le dimanche ; elle se repose, fatiguée de son