Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/142

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profonde pitié pour ces malheureux, et ce sentiment domina en lui toute autre considération. Il oublia que ces gens dont il avait compassion avaient violé les lois, qu’ils avaient fait du tort à autrui, que c’étaient sans aucun doute des criminels, peut-être des assassins qui avaient fait souffrir leurs victimes ; il ne vit qu’une seule chose : l’ombre de l’échafaud et le terrible sort suspendu sur la tête des condamnés. Il était si vivement ému qu’il oublia sa propre situation, et ne se souvint plus que son autorité était toute factice ; avant d’avoir pu se rendre compte de ce qu’il pouvait ou devait faire, il s’était écrié avec passion :

— Qu’on les amène ici !

Puis il rougit, et des paroles d’excuse montèrent à ses lèvres. Cependant il se retint quand il vit que son ordre n’avait causé aucune surprise ni au comte, ni au page de service.

Le page, avec le cérémonial accoutumé, s’était incliné profondément et, marchant à reculons en renouvelant à plusieurs reprises ses révérences, avait quitté la salle. Tom eut un mouvement d’orgueil. Il commençait à comprendre ce que l’on gagne à être roi et les avantages qu’offre cette haute position. Il se dit :

— Je vois que c’est absolument ce que je lisais dans les livres du vieux prêtre et ce que je faisais à Offal Court, quand je me croyais un vrai prince et quand je distribuais mes ordres en disant : « Faites ceci, faites cela », sans que personne osât me contredire ni s’opposer à ma volonté.

En ce moment, les portes de la salle d’audience s’ouvrirent ; les officiers de service annoncèrent successivement une longue série de noms et de