Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/171

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ment dans toute l’assistance, car ces bannis de la société n’ont pas l’âme entièrement fermée à la pitié et sont même capables de s’émouvoir et de s’affliger, surtout lorsqu’ils ont à déplorer l’un de ceux qui ont passé parmi eux pour des êtres supérieurs et s’en sont allés ils ne savent où, sans laisser d’héritier.

Cependant la douleur générale ne fut pas de longue durée. Une tournée d’eau-de-vie remit les esprits d’aplomb et chassa les idées sombres.

— Y a-t-il d’autres manquants ? demanda Hobbs.

— Oui, surtout des recrues ; des petits fermiers mis sur la paille et mourant de faim parce qu’on leur a enlevé leurs fermes pour en faire des parcs à moutons. Ils ont mendié, et quand on les a pris, on les a attachés derrière une charrette, on les a mis nus jusqu’à la ceinture et on les a fouettés jusqu’au sang ; puis on les a mis aux ceps[1] pour recevoir la bastonnade ; puis ils ont mendié derechef ; on les a fouettés derechef et on leur a coupé une oreille ; puis ils ont mendié une troisième fois — car que faire quand on a faim ? — et on les a marqués sur la joue avec un fer rouge, et on les a vendus comme esclaves ; puis ils se sont enfuis : on les a poursuivis, pris et pendus. Voilà leur histoire en termes courts et clairs. D’autres ont été traités plus bénignement. Approchez, Yokel, Burns, Hodges… montrez vos tatouages.

Ceux qu’il appelait se levèrent, ôtèrent leurs gue-

  1. Sorte de piège ou instrument de torture dans lequel les condamnés avaient les talons pris. De là aussi l’expression « punis par les talons ». Shakespeare en fait mention dans sa tragédie de Henri IV.