Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/281

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bas et l’eussent volontiers loué avec exaltation.

Le roi s’approcha doucement de Miles et lui dit à l’oreille :

— Grand et noble cœur, aucun roi de la terre ne saurait t’accorder la récompense que tu mérites ; mais le Roi des rois a inscrit ton acte sublime dans son livre d’airain. Le Roi d’Angleterre ne peut plus qu’une chose pour toi : proclamer ta noblesse à la face du royaume et de l’univers.

Et ramassant le fouet resté à terre, il toucha du manche l’épaule sanglante de Hendon et dit :

— Édouard d’Angleterre te fait comte !

Hendon était profondément ému. Ses yeux s’emplirent de larmes. Il oublia soudainement l’affreuse réalité de son sort, il ne vit plus les officiers de justice, le bourreau, sir Hughes, la foule, qui étaient là : son visage contracté par la souffrance prit une expression sereine. Un sourire effleura même sa lèvre.

Être là, honni, pilorié, martyrisé, les membres en sang, les pieds chargés d’entraves, et se voir tout à coup, du fond de cet abîme d’infortunes, transporté au plus haut sommet de la gloire ! Entendre un Roi qui dit : Je te fais comte ! et sentir en même temps un bourreau vous cracher au visage : n’était-ce point le comble de l’ironie !

— Pauvre petit ! se dit-il, plus je descends, plus il me fait monter ! Hier je n’étais qu’une ombre de chevalier dans le royaume des ombres et des rêves, me voilà maintenant l’ombre d’un comte ! J’avance vite ! Je n’ai que des ombres d’ailes, mais elles me portent loin ! Si cela continue, je serai bientôt, comme un arbre de Mai, couvert de clinquant, de simulacres d’honneur ! C’est égal, je les apprécie