Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/319

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

joie, appréhension, colère, délire, toutes les passions se donnaient carrière en même temps. Le respect du saint lieu n’existait plus. On parlait tout haut, on se parlait à l’oreille, on se livrait à des gestes désordonnés. Pour la première fois peut-être depuis la fondation du royaume d’Angleterre, et peut-être aussi pour la dernière fois, la noblesse et le peuple oubliaient les démarcations de rang et le decorum sévère des prérogatives. On se précipitait vers l’estrade royale, on se poussait, on se bousculait, et les pairesses, vieilles et jeunes, étaient coudoyées dans l’église de Westminster, comme on l’était sur le pont de Londres.

Ce fut pis encore quand lord Saint John reparut, tenant des deux mains au-dessus de sa tête le grand sceau du royaume.

Alors un cri unanime retentit dans l’enceinte de l’abbaye :

— Vive le vrai roi !

Des salves d’applaudissements éclatèrent, les mouchoirs et les mains s’agitèrent en l’air, et au milieu de ce tumulte, un enfant en guenilles, debout sur l’estrade, tandis que tous les hauts barons et les grands vassaux pliaient le genou devant lui, regardait avec un bonheur inexprimable la foule qui l’acclamait.

Quand la tempête de hourras se fut apaisée, ceux qui s’étaient agenouillés se levèrent, et Tom Canty s’écria :

— Ô Roi, reprenez ces vêtements qui sont les insignes de votre puissance, et rendez au pauvre Tom, le plus humble de vos sujets, ce qui reste de ses loques.

Le Lord Protecteur fit un signe aux gardes, et désignant Tom Canty :