Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/77

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Le prince laissa aller faiblement sa tête de droite à gauche.

— Dieu m’est témoin, dit-il, que je suis navré de vous affliger ainsi ; mais, en vérité, je ne vous connais point, et c’est la première fois que je vous vois.

La femme s’affaissa sur elle-même et, couvrant son visage de ses deux mains, elle éclata en sanglots déchirants.

— Hein, la vieille, ricana John Canty, que t’avais-je dit ? Admirablement jouée, n’est-ce pas, cette comédie ! Çà, Nan, çà, Bet, voulez-vous bien ne pas rester plantées sur vos jambes devant votre prince, drôlesses éhontées ! Allons, à genoux, et plus vite que ça, graine de misère, et qu’on fasse la révérence !

Un rire sarcastique accompagna cette injonction. Les deux filles voulurent plaider timidement pour leur frère.

— Laisse-le, père, supplia Nan, il a besoin de se coucher, le repos et le sommeil lui guériront sa folie.

— Oh ! oui, laisse-le, père, appuya Bet. Il n’en peut plus. Il est plus malade que d’habitude. Il sera mieux demain et il mendiera gentiment, et il ne reviendra pas les mains vides.

Ces dernières paroles calmèrent l’hilarité de John Canty, car elles le ramenaient brusquement à la réalité de sa misère. Il se tourna avec colère vers le prince, et d’une voix brutale :

— Demain l’homme qui nous loue ce taudis viendra nous réclamer les deux pence que nous lui devons ; deux pence, entends-tu, pour une demi-année de loyer ; et si nous ne payons pas tout cet argent, on nous mettra dehors. Et c’est toi qui en seras cause, avec ta paresse à mendier, vaurien que tu es !